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naces dont quelques-unes se trouvaient suivies d’effets. Un soir par exemple, elle lui avait dit de se défier d’un homme qu’il ne tarderait pas à rencontrer sur son passage avec l’épée à la main, et une heure après, en rentrant, Gustave, accompagné cette fois du jeune comte Jacques de La Gardie, avait trouvé en effet, sortant du château, un gentilhomme qui, après avoir subi quelque temps auparavant, dans une ville de province, une attaque personnelle, ne sortait plus la nuit sans avoir son épée nue à la main. C’était encore par suite de pareilles prédictions que Gustave III redoutait le mois de mars : en mars était survenue sa première rupture avec sa mère, et c’est aussi en mars qu’il fut assassiné. Ribbing apprit un jour que Mlle Arfvedsson avait conseillé à Gustave de prendre garde, s’il rencontrait un homme habillé de rouge. Elle croyait dire une parole inoffensive, puisqu’il n’y avait d’ordinaire dans Stockholm nul costume ni vêtement de cette couleur. Ribbing osa cependant se faire faire un habit rouge, et s’offrir ainsi vêtu aux regards du roi dans une de ses promenades favorites. Le roi en fut fort frappé et garda toujours à l’égard de Ribbing un secret sentiment de terreur. On a dit que ce jeune comte avait conçu contre Gustave une haine violente parce que, demandant en mariage une riche héritière, il avait rencontré pour rival heureux un des favoris que soutenait le roi. Il mêlait du moins à sa passion quelque ardeur politique il rêvait une révolution et se trouvait à la tête d’un parti.

Le pistolet d’Anckarström, que dirigea Ribbing, avait été chargé par un troisième conjuré, le comte de Horn. Celui-ci avait vingt-neuf ans à peine. C’était un enfant gâté. Sa belle figure, son élégance et quelque talent de poète l’avaient fait briller dans le monde et lui avaient même concilié l’amitié du roi; mais il était faible de caractère, et sa vive imagination s’ébranlait aisément. Il fut du nombre de ceux que les illégalités commises par Gustave III en 1789 révoltèrent en leur inspirant une sorte de terreur. Il avait ajouté foi à tous les bruits sinistres inventés par la vengeance ou par la peur. Au moment où son père, avec plusieurs membres de la noblesse, était prisonnier du roi, on avait dit, sans aucune apparence de raison, qu’une émeute excitée et payée par le gouvernement devait soulever contre les nobles l’écume de la populace et organiser un massacre dans les prisons. Le jeune comte de Horn, éperdu, avait inutilement demandé à partager la captivité de son père. Il était resté depuis convaincu que la courageuse attitude d’une partie de l’armée et de la jeune noblesse avait seule empêché l’émeute d’éclater, et il croyait avoir à venger désormais son pays et son père contre un despote impuissant, mais cruel : c’est ainsi qu’il se jeta dans les plus coupables intrigues, prêtant