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d’une question de territoire dont la solution a été retardée sans inconvénient pendant deux siècles, et l’empire brésilien tient-il à étendre ses frontières de tel rio qui n’est même pas marqué sur les cartes à tel autre qui coule comme le premier dans des solitudes infertiles et inhabitées? Mais ce même empire couvre un tiers de la presqu’île colombienne; il est déjà le maître incontesté d’espaces que ses administrateurs et ses soldats n’ont jamais parcourus, et où ils sont impuissans à porter les premiers élémens de la civilisation. Le cabinet de Rio poursuit-il un dessein purement humanitaire, et ne veut-il qu’ouvrir au commerce du monde un pays qui s’entoure encore de barrières presque infranchissables, et que l’on appelle, non sans quelque raison, une Chine américaine? Dans ce cas, le Brésil montre un singulier désintéressement, car, avec son commerce restreint, sa marine marchande presque nulle, il ne pourra profiter que dans une bien faible mesure de relations plus faciles et plus étendues avec le Paraguay.

Quant à la confédération argentine, elle a, comme son allié, d’immenses possessions dont elle ignore les bornes; ses domaines franchissent la Cordillère des Andes et se prolongent jusque sur les versans du Pacifique. Elle a besoin, non point de nouvelles terres, mais d’habitans, pour peupler celles qui lui appartiennent déjà. Il y a deux ans, à l’inauguration du chemin de fer de Rosario, le président Mitre, qui a été poète dans sa jeunesse, s’adressait à l’Europe pour lui recommander l’avenir de la jeune république. « Puissions-nous, disait-il, recevoir cinquante mille émigrans par an! » Et il partait de là pour prédire les hautes destinées de son pays. Mitre avait raison c’est uniquement par un large courant d’émigration venu de l’ancien monde que le riche bassin de la Plata peut être fertilisé, et c’est de rapports incessans avec l’Europe qu’il doit tirer les élémens de sa civilisation. Autour de cet estuaire, rafraîchi par des vents purs et salubres, et dont le ciel rappelle celui du midi de la France ou de l’Italie, la race latine prospère à l’aise. De nombreux émigrans quittent chaque année le pied des Alpes ou des Pyrénées pour importer sur ce sol hospitalier, au milieu de populations dont la langue et les mœurs ne leur sont presque pas étrangères, les cultures et les industries de la terre natale. La Bande et les pampas sont pourtant bien vastes encore et bien dépeuplées, et rien n’empêche toutes ces colonies de se développer sans atteindre le petit état situé dans le delta éloigné que forment en se joignant le Parana et le Paraguay.

Le peuple paraguayen, peu connu, et dont, quand on cherche à l’étudier un peu profondément, la civilisation, les mœurs, le gouvernement, paraissent étranges, est d’origine tout indienne. La langue qu’il parle n’est pas cet espagnol plus ou moins altéré que l’on entend chez les autres nations colombiennes: c’est un dialecte conservé des vieilles races rouges, idiome doux et sonore, le guarani, qui a pris déjà un singulier développement grammatical et deviendra peut-être une langue littéraire. Les Paraguayens