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ront jamais le change à un œil exercé, voilà le sujet qui semble avoir tenté M. Rasetti dans son drame des Parasites. Malheureusement l’exécution n’a pas répondu à la pensée première. L’auteur n’a pas assez médité son sujet; il a eu l’idée de mettre en scène le parasite, et de cette idée excellente il n’a pas su, par une conception précise, faire sortir les énergiques développemens qu’elle comporte. Le principal personnage de la pièce est un caractère égoïste et lâche bien plutôt qu’un de ces parasites annoncés en traits amers au commencement de la pièce. Jeune, brillant, enthousiaste, il a aimé une jeune fille digne du cœur le plus noble, il s’est fait aimer d’elle, et rien ne s’oppose à son bonheur, si ce n’est sa volonté défaillante. Incapable d’accepter les épreuves d’une vie courageuse et régulière, il recule devant le mariage, sans se soucier du coup qu’il va porter à cette âme innocente. Or cette jeune fille qu’il aimait, et qu’il a si misérablement contristée, dès le jour où elle est mariée à un autre, il la poursuit avec une violence de désirs qu’irritent le regret et la honte. Il abusera des sentimens qu’il a su lui inspirer naguère, il portera le trouble en son cœur, il lui enlèvera la confiance de son mari, il la poussera au désespoir, il l’obligera enfin à chercher un refuge dans la mort. Est-ce là un parasite? Non pas précisément. Le personnage de M. Rasetti est un lâche que sa lâcheté même pousse à des violences meurtrières. Le parasite est autre chose que cela. Sans doute le parasite n’a pas la force de vivre, il ne sait pas se créer sa vie, et voilà son unique ressemblance avec l’énergumène dont nous venons de parler; mais il se glisse, il s’insinue, il s’attache, il n’entre jamais en lutte avec l’être plus vigoureux dont il se nourrit lentement; une fois incorporé à son hôte, il ne s’en sépare plus, et, selon le sens énergique du mot grec, il ne mange jamais chez lui. Remarquez d’ailleurs que, si le parasite est le plus souvent ridicule ou odieux, il y a aussi des parasites qui peuvent inspirer la commisération. En telle matière, l’intention est tout. « Les vertus des petits s’appuient sur celles des grands hommes, dit Bernardin de Saint-Pierre, comme ces plantes faibles qui, pour n’être pas foulées aux pieds, s’accrochent au tronc des chênes. » En flétrissant les parasites qu’engendre la lâcheté, il fallait leur opposer ces autres parasites nés de la faiblesse ingénue et confiante. Il y avait ici, en un mot, bien des aspects variés qui n’eussent pas échappé à une étude plus forte. L’auteur s’est contenté trop vite; il s’est borné à composer un drame honnête, animé de sentimens purs, qu’une méditation attentive aurait préservé des banalités. L’idée reste donc tout entière; drame ou comédie, il y a là un sujet qui peut tenter un poète.

Si j’ai dit que l’intention vaut mieux que l’exécution dans le drame des Parasites, il ne faut pas que l’auteur, un nouveau-venu au théâtre, trouve cette critique fâcheuse et décourageante; les esprits les plus familiers avec les exigences de la scène méritent quelquefois le même reproche. Certes je ne veux pas comparer le drame de l’Odéon, déjà un peu oublié, à cette vive comédie de M. Victorien Sardou représentée, il y a quelques jours,