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stériles, çà et là une bande de pâturage aromatique et dru, quelques champs pierreux, partout des oliviers : on se croirait dans notre Provence. Il n’y a pas jusqu’à ces pâles oliviers dont l’aspect n’ajoute à l’austérité du paysage. La plupart ont éclaté par le milieu, le tronc s’est effondré, l’arbre s’est séparé en morceaux, et ses membres ne tiennent entre eux que par une suture ; on dirait les damnés de Dante, tous suppliciés par l’épée, tous fendus à demi, en travers, de la tête aux pieds, des pieds à la tête. Les racines tordues s’accrochent entre les cailloux comme des pieds désespérés, et le corps torturé par la plaie se contourne et se renverse dans l’agonie ; béans ou ployés, ils s’obstinent à vivre, et ni la pente, ni la pierre, ni les eaux d’hiver ne triomphent de leur vitalité et de leur effort.

Vers Narni, l’aspect change ; la route court à mi-côte, et toute la montagne qui fait face est vêtue de chênes-verts : ils ont pullulé partout, jusque dans les creux et les cimes inaccessibles ; seuls, quelques murs de roche perpendiculaire se sont défendus contre leur invasion. La montagne ronde se lève ainsi, depuis le torrent jusqu’au ciel, comme un magnifique bouquet d’été intact au milieu de l’hiver. Au sortir de Narni, le paysage s’embellit encore ; c’est une plaine fertile ; des blés verts, des ormes mariés aux vignes, un grand jardin riant, tout à l’entour de hautes collines d’une teinte plus grave, au-delà un cercle de montagnes azurées et frangées de neiges. Soave austero, ce mot revient bien souvent devant les paysages de l’Italie ; les montagnes donnent la noblesse, mais elles ne sont point trop hautes ; elles n’accablent pas l’imagination ; elles forment des amphithéâtres, des fonds de tableau, elles ne sont qu’une architecture naturelle. Au-dessous d’elles, les cultures variées, les nombreux arbres à fruits, les champs étages composent une décoration riche et bien entendue qui fait promptement oublier nos monotones champs de blé, nos herbages plus monotones encore, et tous ces paysages du nord qui semblent une manufacture de pain et de viande.

On voit passer quantité de petites carrioles qui portent un jeune homme et une jeune fille ; la jeune fille est gaîment habillée de couleurs voyantes, tête nue ; elle a l’air d’être avec son amoureux. Il y a ici mille traces de bonheur voluptueux et pittoresque. Les jeunes filles relèvent leurs cheveux à la mode la plus nouvelle, avec des bouffantes sur le devant de la tête ; elles ont un fichu de soie, des pendeloques, un peigne doré. A Rome, des plus sales taudis sortaient des têtes superbes et riantes. Tout à l’heure, en traversant une petite ville, à je ne sais quelle fenêtre borgne, dans une rue triste et terne, j’ai vu un corsage de velours noir se pencher à demi au-dessus d’une fenêtre et de grands yeux noirs jeter un