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marbre, des monumens funéraires dont le marbre fouillé et travaillé semble le plus élégant coffret d’orfèvrerie ; çà et là, au hasard, une gerbe élancée des plus sveltes colonnettes, un amas de joyaux de pierre dont l’ordonnance semble une fantaisie, et dans ce labyrinthe de feuillages colorés une profusion de peintures ascétiques avec leur auréole de vieil or terni, tout cela vaguement entrevu parmi les reflets noirs des boiseries, dans un jour de pourpre éteinte, tandis qu’à l’entrée le soleil baissant tombe, par cent mille flèches d’or, comme un paon qui s’étale.

Au sommet, l’église supérieure s’élance aussi brillante, aussi aérée, aussi triomphante que celle-ci est basse et grave. Véritablement, si on se laissait aller aux conjectures, on croirait que dans les trois sanctuaires l’architecte a voulu représenter les trois mondes : tout en bas, l’ombre de la mort et l’horreur du sépulcre infernal ; au milieu, l’anxiété passionnée du chrétien qui prie, lutte, et attend dans notre terre d’épreuves ; en haut, la joie et la gloire éblouissante du paradis. Celle-ci, tout exhaussée dans l’air et dans la lumière, effile ses colonnettes, aiguise ses ogives, amincit ses arceaux, monte et monte encore, illuminée par le plein jour de ses hautes fenêtres, par le rayonnement de ses rosaces, de ses vitraux, des filets d’or, des étoiles qui luisent sur ses arceaux et sur ses voûtes, enserrant les glorieux personnages et les histoires sacrées dont elle est peinte du pied jusqu’au sommet. Le temps les a lézardés, plusieurs sont tombés, l’azur dont elle était revêtue s’est terni ; mais l’esprit refait à l’instant ce qui a disparu pour l’œil, et revoit la pompe angélique telle qu’il y a six siècles elle éclatait pour la première fois. Une cathédrale n’a point cela ; il faut une chapelle distincte pour figurer à l’homme la dernière station de la vie chrétienne. Comme dans la Sainte-Chapelle de notre Louis IX, les hommes trouvaient ici un tabernacle ; la gravité et les terreurs de la religion étaient effacées ; on n’apercevait autour de soi que les splendeurs du ciel et le ravissement de l’extase. Sous cette voûte qui, comme un dais aérien, semble ne point s’appuyer sur la terre, parmi les scintillemens de l’or et les effluves de la clarté transfigurée par les vitraux, dans cette infinie broderie de formes élancées et entre-croisées qui s’enchevêtrent comme une parure de fiancée, l’homme se sentait transporté vivant dans le paradis. Nous ne retrouverons pas, nous n’écrirons pas ces fêtes. On les a écrites pour nous, et je me répétais tout bas ces vers de Dante :


« Et voici qu’une lueur subite parcourut la grande forêt dans toutes ses parties, si brillante que je doutai si ce n’était pas un éclair… Et une douce mélodie courut dans l’air lumineux.