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qui j’ai voyagé, l’un officier, l’autre attaché d’ambassade, le trait capital des Italiens, c’est le manque de caractère et la plénitude de l’intelligence, tout au rebours l’Espagnol, tête dure et bornée, mais qui sait vouloir. On dispute sur le nombre des volontaires de Garibaldi en 1859 ; les uns le portent à deux mille cinq cents, les autres à sept mille : en tout cas, il est ridiculement petit. L’empereur Napoléon avait amené la légion étrangère presque vide, avec de simples cadres ; personne ne s’est présenté pour les remplir. Il semble très dur à l’Italien de quitter sa maîtresse ou sa femme, de s’enrôler, de subir une discipline ; l’esprit militaire est éteint dans ce pays depuis trop longtemps. Selon mon officier, qui assistait à la dernière campagne, Milan n’a fourni en tout que quatre-vingts volontaires, et les paysans étaient plutôt pour les Autrichiens. Pour les gens de la classe moyenne ou noble, ils faisaient de grandes acclamations, des discours ; mais leur enthousiasme s’évaporait en phrases, et ils n’en avaient plus pour risquer leur peau. La générosité, la passion vraie, le patriotisme emporté, ne se rencontraient que chez les femmes. Après la paix de Villafranca, des Français logés près de Peschiera disent à leurs hôtes : « Eh bien ! vous restez Autrichiens, c’est dommage ! » La jeune fille de la maison ne comprend pas au premier instant ; puis, quand elle a compris, elle lève les deux mains, et avec des yeux enflammés demande à ses frères s’ils ont des fusils, s’ils sont des hommes. « Jamais, disait l’officier, je n’ai vu une expression si ardente et si sublime. » Ses frères secouent la tête, et répondent avec la patience discrète de l’Italien : « Qu’y a-t-il à faire ? »

Ce manque d’énergie a contribué beaucoup à précipiter la paix. L’empereur Napoléon disait à M. de Cavour : « Vous m’aviez promis deux cent mille hommes, soixante mille Piémontais et cent quarante mille Italiens. Vous me donnez trente-sept mille soldats, je vais être obligé de faire venir cent mille Français de plus. » Quand le protégé ne s’aide pas, le protecteur s’inquiète, se dégoûte, et la guerre est enrayée tout d’un coup. A force de plier, l’Italien a perdu la faculté de résister à la force ; sitôt que vous vous mettez en colère, il s’étonne, il s’alarme, il cède, il vous croit fou (matto). C’est par ce procédé que le fougueux M. de Mérode a gagné son ascendant dans le sacré-collège. Or, quand un peuple ne sait pas se battre, son indépendance n’est que provisoire ; il vit par grâce ou par accident.

C’est pourquoi, disent-ils, le Piémont a eu grand tort de céder à l’opinion, de prendre Naples ; il s’est affaibli d’autant ; il y gâte son armée à force de recevoir de mauvais soldats dans ses cadres. Aujourd’hui, s’il est maître là-bas, c’est comme Championnet, Ferdinand, Murat, et tous ses prédécesseurs : avec dix mille soldats, on