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du télégraphe et affichées en gros caractères aux murailles. Les journaux démocrates, qui hier encore jetaient feu et flammes, ont ce matin l’oreille basse et cherchent à se consoler de leur défaite par des succès partiels.

Ce qui est merveilleux, c’est le calme profond avec lequel ce grand événement s’est accompli. Les journaux ne nous apportent aucun bruit d’émeute, aucun récit de violence ou de désordre. Sur toute la surface de l’Union, de Boston à Saint-Louis et de Washington à Chicago, le jour de l’élection a été un jour de trêve, et tous les partis ont jeté leurs armes avec une étonnante unanimité. Jamais, depuis que la république existe, on n’avait vu d’élection si paisible ; jamais pourtant élection ne s’était faite sous de plus sombres présages. Les plus optimistes comptaient sur du sang versé. On allait jusqu’à prédire que la réélection du président Lincoln serait le signal d’une insurrection et d’une anarchie générales. Et voilà qu’après le carnaval burlesque de la lutte électorale, quand toutes les passions semblent déchaînées et que l’heure du danger paraît venue, le peuple se recueille et vote en silence ; cette démocratie tumultueuse, qui semblait prête à se déchirer, éprouve elle-même le besoin de s’imposer la discipline et d’imprimer un caractère de stabilité solennelle à la constitution des pouvoirs nouveaux. Il faut l’avouer bien haut, c’est un spectacle qui fait le plus grand honneur au bon sens et au patriotisme de l’Amérique.

Quel est donc ce génie tutélaire qui protège la démocratie ? A qui doit-elle cet esprit d’ordre, de persévérance, de sagesse, que ses amis eux-mêmes n’ont jamais compté parmi ses vertus ? Elle le doit à l’organisation des partis. Ce mot tant redouté contient tout le secret de la liberté américaine. Ces conventions improvisées qui s’organisent au nom du peuple pour désigner les candidats et fixer la politique des partis sont obéies avec un ensemble qui prouve l’intelligence politique du pays. Il n’y a pas en Amérique affaire si locale, si privée, qui ne se rattache à la grande affaire qui divise la nation ; la question de la guerre ou de la paix, de Lincoln ou de Mac-Clellan, est impliquée dans le choix d’un policeman ou d’un balayeur. On n’y connaît pas, il est vrai, cette admirable centralisation administrative que, suivant une phrase consacrée, « le monde entier nous envie. » On n’y connaît pas non plus cette parfaite centralisation politique qui met sous une seule direction les opinions de tout un peuple ; mais la centralisation politique s’y établit toute seule, à la faveur même de la liberté, au sein des deux ou trois grands partis qui se partagent l’opinion. Ces puissantes associations, qui, tour à tour gouvernantes et gouvernées, victorieuses et vaincues, se combattent à la fois sur tous les points du territoire, ont toujours pour