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rentrer en empereur. Pour un général victorieux, le trône était le seul abri contre la prison : il fait révolter son armée, traverse la mer Adriatique, entre en Bulgarie et marche sur Constantinople. L’empereur envoie contre lui une armée que Maniaces met aisément en déroute ; mais, pendant qu’il poursuit les fugitifs, il reçoit un coup de flèche dans la poitrine et tombe mort de son cheval. Ainsi finit Maniaces, et avec lui finit la domination byzantine en Italie. Il aurait pu la rétablir par ses talens militaires, quoiqu’il la compromît, par ses cruautés et ses exactions : il ne pouvait pas la défendre des vices du gouvernement byzantin, il ne put pas s’en défendre lui-même, puisque les vices de ce gouvernement firent tour à tour de lui un prisonnier et un rebelle ; mais son nom resta attaché à une ; grande victoire remportée sur les musulmans de Sicile, la victoire de Troïna[1], qui releva la chrétienté en Sicile et en Italie de son abaissement ou de sa terreur de presque trois siècles devant le mahométisme. Saint Philarète, un des saints de la Sicile, et dont je parlerai plus à mon aise quand je traiterai des saints de la question d’Orient en Italie (car cette question a ses saints qui méritent leur canonisation, puisqu’ils défendaient les deux meilleures causes que puisse défendre l’humanité, la patrie et la religion), saint Philarète, qui était à Troïna en Sicile le lendemain de la victoire de Maniaces, raconte que les chrétiens, en voyant la bannière chrétienne arborée sur les murs des villes et des châteaux, couraient aux églises, chantaient des Te Deum, brisaient les fers que portaient aux pieds les esclaves chrétiens, et, délivrés enfin de la terreur que leur inspirait le tyran africain (c’est-à-dire le sultan de Païenne), respiraient en liberté. « On sait, dit M. Amari, ce que veut dire ce mot de liberté quand deux religions luttent l’une contre l’autre. » Assurément le mot ne veut pas dire la tolérance, qui n’est point une vertu des temps de lutte ; mais ce jour-là il voulait dire la liberté des chrétiens opprimés depuis près de trois siècles. Cela suffit pour que j’eusse volontiers chanté le Te Deum de Troïna.

Il me reste, pour achever l’histoire de la domination byzantine dans l’Italie méridionale, à noter brièvement les traces qu’a laissées cette domination.

Le savant Giannone, dans son Histoire civile du royaume de Naples, dit que « dans certaines villes de la Calabre, et particulièrement à Naples, on conserve encore aujourd’hui (XVIIIe siècle) une manière de parler qui ressemble en bien des choses à celle des Grecs,

  1. Cette victoire de Troïna s’appelle la victoire de Dragine dans l’Histoire du Bas-Empire de Lebeau.