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de la chrétienté leur permettent de se produire. Dans aucun des ouvrages d’exégèse parvenus à ma connaissance, la suite de la religion ne se montre avec autant de clarté ; on peut, selon nous, considérer comme résolu le problème, jusqu’à présent si compliqué et si controversé, de la formation des dogmes chrétiens. La solution qu’en donne, M. de Bunsen est d’une simplicité qui frappera tous les lecteurs ; nous la résumons de cette manière : le dogme chrétien, dans ce qu’il a d’essentiel, ne s’est pas formé peu à peu, il est sorti tout fait de l’enseignement de Jésus ; mais la mort, qui avait déjà frappé le précurseur et qui l’avait frappé lui-même, menaçant toujours ses disciples, la doctrine qu’il avait enseignée secrètement à ses apôtres fut tenue cachée par eux et transmise à voix basse à leurs principaux sectateurs. De cette obscurité où ils la conservaient avec la plus stricte vigilance, elle ne sortit que par fragmens, à mesure que les circonstances permirent de la révéler sans péril. Enfin elle ne fut entièrement promulguée que quand elle fut menacée à son tour de se dénaturer sous l’action des hérésies naissantes. Les quatre Évangiles, les Actes, les Épîtres et plusieurs autres écrits des temps primitifs de l’église marquent les étapes que la promulgation de la foi eut à parcourir. La discipline du secret dura jusqu’au jour où la manifestation put être regardée comme complète : ce ne fut que vers la fin du second siècle ; alors seulement la publication de l’Évangile de saint Jean montra sous sa forme théorique la doctrine confiée par Jésus à ses disciples favoris. Ainsi près de deux cents ans ont été nécessaires pour que les chrétiens répandus dans l’empire fussent en pleine possession des grandes formules de la foi. La première forme sous laquelle elle avait été proposée est celle qu’employa exclusivement Jésus dans son enseignement public, la forme de la parabole ; c’est celle qui se rencontre à peu près seule dans l’évangile de saint Matthieu, le plus ancien des quatre et celui qui reproduit le plus exactement les propres paroles du Christ. La théorie commence à se montrer dans l’Évangile de saint Luc, le second en date ; ce nouveau livre fit avec le premier un contraste apparent, car il supprimait d’une façon systématique l’élément juif, que Matthieu, organe de Pierre, avait étroitement conservé. Saint Marc n’apporta presque rien de nouveau ni dans l’histoire du maître, ni dans l’expression de la doctrine ; son Évangile fut publié pour rapprocher les chrétiens judaïsans, dont Pierre était le chef, des chrétiens grecs et romains, pour qui saint Luc avait composé le sien.

Quel événement s’était-il donc passé qui eût produit dans l’église naissante cette scission un moment dangereuse ? Un seul : la prédication de saint Paul. Paul n’était pas un disciple de Jésus ;