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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/728

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à quelque mésintelligence, et de saint Matthieu tous les passages qui montraient une tendance judaïsante exclusive. Il en résulta une œuvre décolorée qui fut comme un abrégé de saint Luc et de saint Matthieu, et qui ne dut être considérée que comme un compromis.


III

Nous devons maintenant faire quelques pas en arrière pour reconnaître les opinions dissidentes nées dans les églises à la faveur du secret où la doctrine métaphysique avait été cachée. Les discussions fondamentales portaient sur la nature de Jésus dans ses rapports avec la théorie du Christ. Nous avons vu que chez les Juifs eux-mêmes le futur règne du Christ était compris de deux façons : les uns attendaient un roi de la souche de David destiné à étendre sur la terre la puissance de la théocratie mosaïque et à placer le peuple d’Israël à la tête d’un vaste empire dont ce roi serait le chef. Les autres, et parmi eux les pharisiens, entendaient le règne du Christ dans un sens idéal. Cette question avait été fort agitée, on l’a vu, pendant le dernier siècle entre les docteurs juifs Shammaï et Hillel ; l’apparition de Jésus, sa prédication, sa vie et sa mort la compliquèrent. Les uns reconnaissaient en lui un fils de David, un futur roi des Juifs ; mais, comme il était mort sans avoir établi aucun royaume, ils étaient déconcertés dans leurs espérances et attendaient ce second avènement de Jésus glorieux dont lui-même les avait une fois entretenus. Les autres se sentaient confirmés dans leur doctrine : en regardant Jésus comme le Christ, ils voyaient surtout en lui le fils de Dieu et marchaient peu à peu vers la suppression, de sa nature humaine. On voit par l’Évangile de saint Matthieu, par la réaction paulinienne et par le témoignage des homélies qui, sous le nom de Clémentines, retracent la doctrine des apôtres que la première doctrine était celle de Pierre et des judaïsans. C’est au temps de saint Paul que la seconde se manifesta. M. de Bunsen en trouve le premier symptôme dans l’épître aux Hébreux, vulgairement attribuée à Paul, mais écrite en réalité par Apollos aux Juifs chrétiens d’Alexandrie. Dans cette ville régnait une liberté de pensée qui altérait aisément le canon des Écritures et introduisait souvent dans la doctrine de Jésus des interprétations individuelles. Nous ne connaissons presque rien de la primitive église d’Alexandrie, si ce n’est qu’elle contribua pour une part considérable aux accroissemens du christianisme et au progrès de ses dogmes. Apollos ne rompt pas seulement de la façon la plus nette avec la loi mosaïque, mais il soutient que le Christ n’a rien d’humain, qu’il est simplement le fils de Dieu apparu sous des formes humaines. Il reproche