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de Marcion, écrivant, tout jeune encore, au jeune Diognète, ami de Marc-Aurèle, vers les années 135 ou 140 de notre ère. Elle est donc presque contemporaine du Pasteur d’Hermas. La forme en est si belle, surtout quand on la compare aux écrits des premiers chrétiens, que M. de Bunsen n’hésite pas à lui accorder toute son admiration et à la citer en grande partie. L’éloquence de cet écrit est constamment soutenue par une élévation de pensée et une précision de doctrines que le Pasteur n’atteignait pas. Si Marcion en fut l’auteur, il faut avouer que ses opinions avaient beaucoup changé à l’époque où dans Rome, en présence d’une église déjà fortement constituée et de dogmes que saint Paul avait définis clairement une première fois, il devint le chef d’une école où l’on niait absolument l’humanité du Christ et sa réalité charnelle, car la lettre à Diognète porte un caractère tout à fait évangélique, le docétisme n’y paraît pas : elle n’est qu’une affirmation nouvelle de la science secrète enseignée par Paul ; enfin elle est une véritable introduction à l’évangile de saint Jean.

Trente ans s’étaient à peine écoulés, qu’un docétiste de Babylone, Tatien, publiait l’Harmonie des quatre Évangiles, L’Évangile de Jean était donc connu à cette époque, et son apparition doit être placée entre les années 160 et 170 de notre ère. Dans l’intervalle, Marcion, se posant comme l’antagoniste de Polycarpe, évêque de Smyrne, soutenait, avec une grande apparence de raison, que le Dieu des chrétiens n’est pas celui des Juifs, que le Christ n’est pas leur Messie, que le Messie leur est particulier, tandis que le Christ est universel ; mais il ajoutait que le Christ ne s’était point incarné, si ce n’est en apparence, que les Juifs à Capernaüm n’avaient vu devant eux qu’un fantôme, qu’il n’avait pas souffert sur la croix et qu’il n’avait pu mourir. Marcion ne connaissait pas l’Évangile de Jean, mais il adoptait celui de Luc en l’altérant selon ses propres idées. Une grande partie des chrétiens se ralliait aux opinions de Marcion, rendues vraisemblables par un style élégant et une éloquence persuasive ; la doctrine du secret était menacée dans ses fondemens. C’est alors que parut l’Évangile de Jean, le dernier et le plus métaphysique des quatre récits qui composent le canon évangélique. M. de Bunsen pense qu’il était tenu en réserve depuis le temps des apôtres par les chefs de l’église, opinion tout à fait vraisemblable et conforme à ce que l’église a toujours pratiqué. A la vérité, tout paulinien a pu l’écrire ; mais il est plus probable qu’il existait déjà, et qu’il était connu des docteurs chrétiens-, car plusieurs phrases sont citées dans les Clémentines et dans les écrits théologiques de l’évêque Hippolyte[1], du premier Tatien, disciple

  1. Voyez sur Hippolyte une étude de M. A. Réville dans la Revue du 15 juin 1865.