Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/785

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucun projet d’alliance. Christian VII avait-il deviné les sentimens du prince Charles pour sa sœur ? « Elle était fort jolie, dit ce dernier, en ses Mémoires, très bien faite, et avait quelque chose de fort spirituel, doux et bon dans la physionomie. » Timidement et discrètement il l’aimait. Le roi brusqua l’affaire et provoqua une déclaration. « Je veux, dit-il, vous fixer en Danemark ; voyez qui vous pourrez épouser. » Il fallut bien que le prince Charles laissât échapper son secret. Dès qu’il eut prononcé le nom de la sœur cadette du roi, Christian lui sauta au cou en criant : « Oui, certes, cela sera. » Il y mit une ardeur si impétueuse que le prince Charles, craignant quelque opposition soit de la reine-mère, soit des ministres, le supplia de se contenir et de vouloir bien mener l’affaire « bride en main. » Tel est pourtant le personnage qui, peu de temps après, au milieu d’un bal, ira s’asseoir à côté de son beau-frère et lui fera cette belle confidence : « Écoutez, mon cher prince, j’ai à vous parler. Il vous reviendra peut-être une foule de choses affreuses qui se disent sur votre compte. Je vous l’avoue en toute franchise, ces rumeurs viennent de moi. J’étais fâché contre vous, je ne sais vraiment pour quel motif, et j’ai dit à qui voulait m’entendre une effroyable quantité de mensonges pour vous perdre de réputation. Il ne faut pas vous en inquiéter, je ne suis plus fâché contre vous. »

Quelques mois après la demande si brusquement arrachée au discret amoureux, le 30 août 1766, le prince de Hesse épousait la sœur du roi de Danemark. Le voilà donc, lui, le grave disciple du christianisme républicain, le voilà devenu le beau-frère de Christian VII, roi de Danemark, et de celui qui occupera bientôt le trône de Suède sous le nom de Gustave III. Entre ces deux personnages si dissemblables, on verra se dessiner plus nettement la douce et austère physionomie du prince Charles. S’il y a loin des caprices désordonnés de Christian aux fantaisies brillantes de Gustave, il y a aussi loin de l’un et de l’autre à la solide raison, à l’humanité sincère du prince de Hesse. Le prince Charles a jugé ses deux beaux-frères dès la première rencontre, et si l’expression de ce jugement n’a pas été remaniée après coup dans les Mémoires, on ne peut qu’en admirer la merveilleuse justesse. À les voir débuter, il devine les tragiques péripéties de leur carrière. Sous les grâces étincelantes du futur Gustave III, à travers ses prévenances et ses mille séductions, ce qu’il y avait de faux ou du moins d’inconsistant chez cette singulière nature ne lui avait point échappé. C’est le premier trait qui le frappe le jour où il assiste au mariage de Gustave avec Sophie-Madeleine. La page mérite d’être citée tout entière ; le tableau des mœurs publiques s’y trouve mêlée à la