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vez du moins de la Bible ce type de haute morale qui convient encore aux sociétés chrétiennes. »

Ces attaques, parties du sein même du clergé, ont été pour l’église d’Angleterre un rude choc. On se tromperait pourtant en croyant que l’événement fut inattendu. En 1861, le docteur Temple[1], nommé d’office par l’université, prêcha devant l’Association britannique des sciences (British Association of science), réunie à Oxford, un sermon qui parut plus, tard à la tête de la publication devenue célèbre d’Essays and Reviews) sous le titre d’Education du monde (Education of the world). L’air menaçant de l’orateur, le fier défi qu’il jetait à ses collègues, le trouble de l’auditoire, tout annonçait l’orage. La foudre éclata par deux fois : après les Essays vint l’ouvrage de l’évêque Colenso sur les livres attribués à Moïse. Ce qu’on aura peut-être de la peine à se figurer en France, c’est que de pareilles machines de guerre, dirigées contre l’infaillibilité de la Bible, frappent bien moins encore sur l’église anglicane que sur les sectes dissidentes. Ces dernières croient pour la plupart à l’inspiration verbale des Écritures : tel a toujours été leur dogme caractéristique, le fond de leur culte, qui a reçu, même au-delà du détroit, le nom de bibliolâtrie. C’est donc surtout de ce côté que l’émotion fut vive et douloureuse. L’église d’Angleterre pourtant se hâta de répondre[2]. Selon elle, la théologie de ces écrivains est toute négative ; ils ont dit ce qu’ils ne croyaient point, ils n’ont pas dit ce qu’ils croyaient. Le peuple attend d’eux une doctrine, une conclusion ; aussi longtemps qu’ils se tairont à cet égard et qu’ils garderont leurs situations dans l’église, leur opposition ne peut avoir qu’une faible autorité morale. Peut-être eût-il mieux valu s’en tenir à cet argument, mais déjà les poursuites étaient entamées. A la suite de diverses péripéties, les auteurs incriminés furent acquittés en dernier lieu par le conseil privé, suprême tribunal de l’Angleterre. Qui ne comprit alors que l’église n’avait ni dans ses institutions ni dans le concours du gouvernement le moyen de punir les opinions qu’elle désapprouve ? L’élément laïque, faisant ici partie de la religion de l’état, ne veut point rouvrir l’ère des persécutions, et en cela il se trouve secondé par une bonne partie du clergé. La tolérance n’est pour l’église anglicane ni un résultat des lumières, ni même un effort de la charité chrétienne ; c’est une condition d’existence. La liberté ne forme-t-elle point une des

  1. Principal de l’école de Rugby.
  2. On peut voir ces réponses dans une œuvre collective intitulée Aids to Faith. Sous le patronage du speaker de la chambre des communes fut aussi publié de 1860 à 1862 un commentaire sur la Bible auquel travaillèrent les membres les plus éminens du clergé.