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« Je décharge ma conscience sur la vôtre; je ne puis pas surveiller moi-même la pratique religieuse et l’état moral de chaque individu dans mon royaume; je vous confie le soin de le faire. » On forma aussitôt un conseil composé des trente-deux personnes les plus fanatiques que l’on put rencontrer dans la ville, et parmi lesquelles il se trouva plusieurs membres de la famille du réformateur Abd-ul-Wahab. Elles eurent un pouvoir complet et absolu pour rechercher et punir, dans tout le pays, les offenses qui pouvaient être commises contre la morale ou la religion. Comme symbole de leur autorité, elles étaient armées d’une longue baguette qu’elles laissaient rarement oisive et assistées par une quantité de satellites portant de respectables gourdins. Leur droit d’investigation et de punition s’exerçait sur la vie publique et privée de tous les habitans, sans en excepter la famille régnante. Un frère de l’émir, alors âgé de cinquante ans, convaincu d’avoir fumé, fut publiquement enlevé et bâtonné par les censeurs devant la porte de son propre palais. Le ministre des finances, qui avait commis quelque infraction du même genre, fut si rudement battu qu’il mourut le lendemain. Beaucoup d’autres coupables furent aussi mis à mort. Des peines sévères frappèrent ceux qui ne se rendaient pas aux cinq offices quotidiens. Après la prière du soir et jusqu’à celle du lendemain matin, il fut défendu de parler, même dans les maisons particulières, un bon musulman devant dire sa dernière parole à Dieu avant de s’endormir. On interdit aux enfans de jouer dans les rues. Le wahabitisme est, on le voit, resté en vigueur dans le Nedjd proprement dit à l’état de croyance pratique, ou, si l’on veut, simplement de rite; mais c’est principalement dans le Djebel-Shammar que nous allons le trouver à l’état de secte propagandiste, comme au temps d’Abd-ul-Wahab et de Saoud.

Le Djebel-Shammar est l’une des provinces du Nedjd, l’un des sept Nedjd, comme disent les Arabes, et la plus septentrionale. Ce djebel (montagne ou pays montagneux) forme un promontoire avancé vers la Mer de Sable ou Nefoud, qui, avec le désert de Syrie, le sépare des provinces turques. Le Djebel-Shammar est administré ou plutôt gouverné pour le compte de l’émir du Nedjd par un cheik qui porte le nom patronymique d’Ibn-Raschid. Celui qui a fondé, il y a trente ans environ, la puissance de cette famille s’appelait Abd-Allah[1]. Son prédécesseur et cousin, nommé Salih-ibn-Aly, craignant son influence sur le peuple, l’avait exilé. Abd-Allah se rendit à Ryad, capitale actuelle du Nedjd, où régnait alors un

  1. Son histoire a été racontée par M. Palgrave et par M. Wallin, professeur de l’université d’Helsingfors. Voyez les relations de M. Wallin dans les volumes 20 et 24 du Journal de la Société géographique de Londres.