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gloire du drapeau, — mais aussi le douloureux spectacle de vestiges sanglans à travers les chemins, de moissons foulées et perdues, de toits fumans, de maisons détruites ! C’était le jour fatal dont un poète de la tribu des Iraten a gravé le souvenir dans ces vers plus d’une fois répétés par les échos d’Azouza[1] :


« Le Français, quand il se met en marche, roule comme les flots d’une rivière ; il a fait avancer des bataillons nombreux, des zouaves plus encore que des autres ; il s’est abattu sur nous comme la glace ou la neige, lorsqu’elle couvre et durcit la terre…

« Notre tribu était pleine d’émigrés ; de tous côtés, chacun se réfugiait chez les Aït-Iraten. « Allons, disait-on, allons dans la confédération puissante, là nous habiterons en lieu sûr… » — L’ennemi n’en est pas moins tombé sur nos têtes guidé par le maréchal, le père de la sagesse dont la tête mûrit les projets…

« Le mercredi à l’aurore a été pour les hommes un jour terrible. Les étoiles brillaient encore quand la lutte commença. — Bientôt cavaliers et fantassins s’entremêlent ; la fumée s’élève en nuages, elle monte et descend dans le ciel. Il en est peu dont la vie se prolonge ; mais celui qui meurt enlève une houri ; ses péchés sont lavés, il est pur !…

«… Comprenez, ô vous qui savez comprendre : l’Alger des Zouaouas est. tombée ; ce qui arrive aux Aït-Iraten ne s’est pas vu depuis le commencement. du monde ! »


Elle fut en effet vaincue et en un seul jour, la montagne saluée naguère du nom de l’invincible, et le soleil du 24 mai éclaira pour la première fois sur ses cimes les trois couleurs qui n’en devaient plus descendre. Huit ans après, jour pour jour, le souverain de la France apparaissait sur le même théâtre en sultan reconnu de tous, et y trouvait les villages en fête, les cultures et l’industrie prospères, les populations fidèles et contentes. — La visite impériale au sein de ce fort qui porte le nom de Napoléon, et s’élève sur des sommets jusqu’à nous libres de toute domination étrangère, aura, nous l’espérons, apposé comme le dernier sceau à la paix de la Grande-Kabylie. La paix que donnait Rome à ses sujets d’Afrique, cette paix romaine dont Pline vantait tant la majesté (immensa pacis romanœ majestas), ne signifiait guère pour les vaincus que faiblesse et asservissement ; la paix que leur donne la France veut vraiment dire assimilation, progrès et liberté.


N. BIBESCO.

  1. L’auteur du chant que nous citons est citoyen d’Azouza, grand village de la confédération des Iraten.