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ces écoles spéciales, qui sont en même temps des établissemens de bienfaisance, écoles de réforme, maisons de correction pour les enfans insubordonnés ou vagabonds, asiles d’aveugles et de sourds-muets, enfin prisons où les filles perdues sont moralisées et instruites. Quand on voit ces résultats, on comprend la puissance de l’initiative locale et le bienfait de la liberté.

Il y a longtemps que les Américains ont résolu les problèmes que nous agitons encore en Europe. La gratuité de l’instruction, cette nouveauté révolutionnaire, cet épouvantail de tant d’esprits timides, existe ici depuis deux siècles. Dès l’origine de la colonie, les puritains ordonnaient, sous peine d’amende, l’établissement d’une école dans chaque township ou commune : c’est de là qu’est sorti tout ce vaste et admirable système d’éducation populaire. Je me trompe : ce n’est pas système qu’il faut dire, car les États-Unis n’ont pas de loi systématique et uniforme sur l’organisation de l’instruction publique. Chaque localité a ses lois particulières, chaque institution ses règlemens privés. Il y a des écoles de toute espèce ; les unes dépendent du gouvernement de l’état, les autres de l’administration municipale, d’autres enfin sont des fondations individuelles : il n’y a de général que l’esprit qui les dirige toutes. La même instruction ne peut être donnée partout : les grandes villes ont seules établi ces high-schools qui donnent, pour ainsi dire, un enseignement de luxe. Parfois, dans les petites localités, des particuliers généreux établissent des académies pour y suppléer. Les finances de l’état contribuent souvent à ces fondations : ainsi l’état de Massachusetts distribue annuellement 10 millions de dollars, moitié aux écoles, moitié aux institutions charitables, médicales ou morales. Son rôle est d’encourager, de stimuler, de soutenir, et non pas de régenter lui-même.

Les Américains disent avec raison que leur système d’instruction publique est la clé de voûte de leurs institutions républicaines. Ils ne s’imaginent pas que le peuple perde en obéissance et en sagesse ce qu’il gagne en indépendance et en savoir. Ils pensent au contraire qu’il serait insensé de jeter le pouvoir politique aux mains d’une multitude ignorante, et qu’on ne saurait trop s’appliquer dans une démocratie à former des citoyens. Nous pouvons faire de belles théories sur les limites raisonnables de l’éducation populaire et sur la dose infinitésimale de science qui suffit à un ouvrier ; nous pouvons dire qu’une goutte de plus l’empoisonnerait en lui inspirant une ambition démesurée, qu’il dédaignerait son humble condition, son travail manuel, et se laisserait orgueilleusement mourir de faim. Nous pouvons aussi repousser l’instruction gratuite comme contraire aux principes de l’économie politique égoïste, de