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sont dirigées absolument par les prêtres jusque dans leurs intérêts matériels, et il arrive souvent que le gouvernement invoque l’autorité de leurs évêques. L’an dernier, la population allemande et irlandaise de Boston fut prise d’une panique financière et voulut retirer ses économies des caisses d’épargne, parce qu’elles avaient placé leurs fonds sur l’emprunt national. Les directeurs des caisses d’épargne s’adressèrent alors à l’évêque, et le dimanche suivant, dans toutes les églises de la ville, les catholiques reçurent du haut de la chaire, entre l’Évangile et le Credo, le conseil de ne pas retirer leur argent. Voilà une influence temporelle que peuvent envier tous les clergés du monde : elle n’est due pourtant qu’à la liberté[1].

Pour bien concevoir toute l’étendue de cette liberté, il faut d’abord comprendre la tournure positive et pour ainsi dire protestante de l’esprit religieux en Amérique. Les Américains ne font pas de la religion un sanctuaire impénétrable : ils ne la séparent jamais de la morale et de la raison. Le credo quia absurdum ne serait pour eux qu’une absurdité. Leur foi n’est pas une abdication de la pensée, c’est un assentiment raisonné de l’esprit. L’homme accoutumé en toute chose à se conduire lui-même n’aime pas à se laisser guider aveuglément : il ne veut pas d’intermédiaire entre Dieu et sa conscience. Le pasteur qu’il écoute volontiers n’est pas à ses yeux un être merveilleux, divin, initié à de secrets mystères, un favori de la cour céleste ; c’est simplement un conseiller sage et pieux qu’il a choisi lui-même et qu’il abandonne pour un autre quand il croit devoir en changer. Aussi le premier venu peut-il prêcher la parole de Dieu ; il n’est besoin ni de titre ni de diplôme pour avoir le droit de l’enseigner. Non-seulement les lois ne s’y opposent pas, mais l’opinion publique elle-même n’en est pas offensée. La religion en Amérique est la chose de tous, et non le livre ouvert au petit nombre ; elle est, si j’ose ainsi parler, démocratique comme les institutions et les mœurs. Seul, le catholicisme, quoique profondément modifié par ce climat politique et social, conserve

  1. Voici un fait qui montre encore combien est intime aux États-Unis l’alliance de la liberté religieuse et de la liberté politique. Quand la guerre civile éclata, toutes les communions se divisèrent sur la question de l’esclavage et de la sécession. L’église anglicane, ou (comme on dit on Amérique) l’église épiscopale du sud, se sépara absolument de celle du nord, et forma une organisation nouvelle. Elle a persisté quelque temps à maintenir sa hiérarchie séparée et à rester comme un vivant souvenir de la guerre civile ; elle refusait surtout obstinément de rétablir dans sa liturgie les prières d’usage pour le président des États-Unis. Dans le cabinet de Washington, deux ministres, MM. Harlan et Stanton, voulaient user des droits de la victoire pour l’y contraindre ; mais le président Johnson frappa du pied avec violence. « Cette guerre, dit-il tout en colère, cette guerre a-t-elle été faite pour sauver l’Union ou pour opprimer les églises ? » J’apprends d’ailleurs que les délégués de l’église épiscopale du sud, assemblés en convention nationale à Augusta, dans la Géorgie, viennent de renouer leur ancienne alliance avec les diocèses du nord.