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plus nécessaires manquent aux acheteurs. On les cache plutôt que de les livrer contre du papier. J’ai vu un réfugié du sud, ancien négociant à Mobile, qui s’est enfui pour échapper à la conscription, qui allait le frapper malgré ses soixante ans sonnés. On s’est réuni un soir à l’Union club pour l’entendre. Il racontait qu’il lui avait été impossible de se procurer, à aucun prix, du porc salé pour sa famille. Les populations du sud vivent en anachorètes sur les produits immédiats de la terre, et bien qu’on dise le pays si fertile qu’avec la moindre culture il est impossible qu’on y manque jamais de maïs et de patates douces, je ne peux pas croire à l’éternité d’un courage aussi mal nourri.

Il y a dans le congrès de Richmond un parti de la paix qui grossit tous les jours. M. Foote, du Tennessee, ayant, avec force réserves et protestations de fidélité à la cause du sud, proposé qu’on accueillît favorablement, qu’on sollicitât presque les propositions pacifiques, a pu réunir une vingtaine de voix. Sa motion, il est vrai, a été mise sur la table à une grande majorité ; mais rappelez-vous les récentes imprécations du président Davis contre quiconque prononcerait le mot, le seul mot de paix ! Il y a dans l’obstination des rebelles quelque chose de forcé et de violent qui trahit la faiblesse cachée sous leurs déclamations stoïciennes. Ils sont sous l’empire d’une terreur et d’une mauvaise honte mutuelles qui poussent le troupeau sans murmure à la boucherie. Ils se font un tyran du faux patriotisme qu’ils ont inventé. Là aussi la loyauté est la vertu indispensable, et l’accusation de tiède inimitié contre les Yankees est la pire qui puisse conduire un homme à la potence, c’est-à-dire (car le sud utilise les supplices) aux avant-postes et aux tranchées. C’est un curieux et triste spectacle que celui de ce peuple poussé malgré lui, par la fatale conséquence de ses fautes, à une ruine volontaire et indigne de pitié. On dirait un homme qui s’est jeté dans un précipice, et qui, en tombant, se cramponne vainement aux pierres et aux broussailles. La longueur et le caractère désespéré de la résistance ont livré les rebelles à une dictature militaire qui aujourd’hui les traîne et les broie jusqu’au dernier sous sa meule. C’est la puissance et le danger du despotisme militaire : il enfonce si profondément ses griffes dans le corps du peuple que rien ne peut lui faire lâcher prise et l’empêcher de boire jusqu’à la dernière goutte de son sang. Vainement tous les citoyens seraient-ils ligués mentalement pour l’abattre ; chacun est enchaîné dans les liens de fer de la discipline, et opprimé lui-même pour servir d’instrument à l’oppression du voisin. Tout un peuple alors marche à sa ruine avec l’énergie désespérée d’une armée que l’on fait combattre sous la menace de la mitraille.

Les gens du sud se sont vantés de leur désintéressement dans la