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armures de fer. Toutefois, comme j’approchais du parc, cette fâcheuse impression se dissipa un peu : de belles pelouses, coupées par de rians massifs, encadraient assez bien la blanche maison aux toits pointus ; çà et là des tapis de fleurs se mêlaient harmonieusement à la verdure des prairies. Le tout formait un ensemble agréable, essentiellement moderne, pareil au visage rose et candide d’un enfant qui se sent heureux de vivre. La grille du parc s’ouvrait à peine que j’entendis des cris de joie retentir à mes oreilles. C’était le cousin Legoyen qui m’attendait au passage, embusqué derrière un bouquet d’arbres, en compagnie de sa femme et de Mlle Emma Trégoref.

— Enfin le voilà, ce voyageur, ce cosmopolite ! criait Legoyen en se jetant dans mes bras ; allons, mon ami, embrasse ta cousine,… et vous, Emma, où êtes-vous ? approchez, mon enfant.

Après cet exorde, Legoyen, qui était un peu replet, s’essuya le front. Mlle Trégoref se tenait derrière sa sœur ; elle s’avança en souriant, et je serrai avec empressement la main qu’elle m’offrit. Elle me parut mieux que je ne m’y attendais ; il n’y a rien comme la campagne et l’absence de comparaison pour faire valoir une jeune fille ; mais je ne fis point alors cette réflexion désobligeante. Emma était vêtue avec une élégance un peu recherchée qui donnait un accent plus vif à sa physionomie douce et rieuse. Ce costume qui lui allait si bien, je me garderai de le décrire, on en rirait aujourd’hui, car il y a de cela plus de cinq ans. Je sais pourtant des pays où les femmes ont adopté un costume invariable, national, qu’elles ont appris à porter avec une grâce souveraine. En France, c’est le contraire : les femmes prennent à la volée une mode qu’elles essaient d’abord en souriant, puis elles la portent pendant quelques mois avec une gravité superbe, comme si elles avaient rencontré l’idéal du bon goût ; mais, hélas ! cette mise tant admirée, voilà qu’elles la modifient, la transforment, et le vêtement qui a fait leur gloire durant une saison, elles le jettent dédaigneusement au reste de l’Europe, qui le reçoit avec avidité et s’en pare avec respect. Si je l’osais, je dirais à la plus belle moitié du genre humain : Vous avez tort, mesdames ; vous sacrifiez au vain plaisir d’essayer toujours quelque vêtement de forme nouvelle, souvent étrange, parfois bizarre, cette noblesse d’allures, cette aisance de manières que vous admirez dans les portraits du XVIIe siècle. — Peut-être parlé-je ainsi parce que la toilette que portait ce jour-là Mlle Trégoref fit sur moi une vive impression. Il me sembla que j’allais me mettre à l’aimer tout de bon. N’étais-je pas venu au fond de cette campagne retirée tout exprès pour m’habituer à vivre auprès d’elle, pour faire l’apprentissage d’une existence reposée,