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ganiser les gardes rurales. On tenta encore de former une gendarmerie ; douze Indiens, robustes et braves cavaliers, en furent le premier noyau. Le lendemain, on trouvait le sous-officier de cette troupe pendu à une lieue de la ville. Les nouveaux engagés ne se découragèrent pas, et même deux d’entre eux partirent comme guides de la colonne envoyée dans un pays nouveau dont ils connaissaient toutes les localités.

La route qui conduit à Hidalgo, et qui pendant une vingtaine de lieues court le long des dernières pentes des montagnes, est parsemée d’haciendas fertiles où abondent le tabac, le maïs, la canne à sucre et les oranges. C’est la meilleure route du Tamaulipas et la plus fréquentée. Presque à la sortie de Vittoria, un premier coup de feu nous fit dresser l’oreille. A la hauteur de l’hacienda de Caballeros, notre avant-garde se heurta la tête dans les jambes d’un pendu ; c’était un pauvre cordonnier de Vittoria, nommé Serapio Ernandez, parti la veille en courrier de la junta expédié à Hidalgo. La clairière était pleine de feux encore fumans et de débris de bestiaux fraîchement tués. Ce tableau était sinistre. On atteignit bientôt l’arroyo de la Palmita, torrent desséché, au lit encaissé, dont les bords étaient hérissés de lianes et de ronces. A peine engagés dans la pente, un nuage de fumée enveloppa tout à coup les partisans français ; mais, comme on ne marchait qu’avec méfiance, chacun fut vite couché sous la décharge de l’embuscade, qui passa comme un ouragan par-dessus les têtes ; puis on se releva. Pas un ennemi n’était visible. Alors fantassins à la baïonnette et cavaliers le sabre nu s’engouffrèrent sous les halliers ; presque aussitôt on entendit des cris étouffés. Dix minutes après, la contre-guérilla était ralliée ; on essuya sur l’herbe les lames rougeâtres, et malgré les insultes des bandits galopant dans tous les sens nos tirailleurs et nos flanqueurs éclairèrent le pays, le doigt sur la détente de la carabine, ripostant de temps à autre. Le soir, on coucha au bord d’une rivière dont le clapotement troubla seul le silence de la nuit. Ce même jour, un peloton de contre-guérillas, envoyé au secours de l’alcade de Guemès, fut moins heureux ; après avoir sauvé l’alcade, nos camarades furent chaudement reconduits par une guérilla supérieure en nombre et grossie des habitans du village, et l’officier français rentrait à Vittoria les deux cuisses traversées d’un coup de feu.

La première étape que nous avions parcourue sur la route d’Hidalgo ne comptait pas moins de dix lieues. Le lendemain de bonne heure, tiraillés sans cesse par des avanzadas toujours invisibles, nous traversions la Corona. Moitié des fantassins montèrent en croupe des cavaliers ; mais les autres, moins bien servis, furent