Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/1009

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passe d’une forêt vierge à une vallée presque nue, partagée par un fleuve qui serait couvert d’usines, si les Américains s’établissaient sur ses rives ; plus loin, c’est une petite chaîne de collines aux rudes descentes, aux pentes ravinées. En face, l’horizon est barré par une ligne de hauts mamelons : c’est au pied de ces collines, sur le bord d’une rivière encaissée et rocailleuse, qu’est bâti Villagran. Du sommet de la pente escarpée que descendaient les contre-guérillas, la ville se découvrit tout entière. Elle nous parut charmante au premier aspect, mais soudain, sur la grande place, on vit miroiter aux reflets du soleil des canons de fusil ; puis les armes s’entremêlèrent et se dispersèrent dans un tourbillon de poussière que le vent emporta rapidement sur la route latérale de San-Carlos. C’était le contingent de Villagran, une cinquantaine de cavaliers appelés sous la bannière de Mendez ; à leur tête marchait, nous dit-on, le lieutenant-colonel Perfecto Gonzalès, l’homme du Texas et le recruteur d’Américains ; le revolver sur la gorge des habitans, il venait d’extorquer toutes les piastres et les armes de la ville.

Les notables de Villagran, réunis à ceux d’Hidalgo, s’étaient prudemment réfugiés dans la ville de Linarès, cité importante du Nuevo-Leon et distante d’une quinzaine de lieues. Un brave arriero qui nous accompagnait depuis quatre jours s’offrit, malgré le péril, pour porter un message au préfet politique de Linarès, où vivait sa propre famille. Le lendemain même, le chef des contre-guérillas recevait un pli du préfet politique, Guillermo Morales, qui annonçait le retour de plusieurs des notables confîans en notre protection, et qui, sur le récit des attaques répétées de la bande de Mendez, toujours grossissante, récit que lui avait fait l’arriero, nous offrait l’appui de la moitié de ses forces. En pareil temps, de la part du préfet mexicain, pareille offre, qui fut du reste refusée, était un véritable acte de bravoure. On passa vingt-quatre heures à Villagran ; c’est une vieille cité provinciale, pleine d’animation, digne de la curiosité du touriste. La population, qui s’élève à près de 3,000 âmes, est énergique et industrieuse ; elle se ressent déjà du voisinage de la frontière ; malgré la terreur qu’y faisait régner depuis quatre jours la bande de Perfecto Gonzalès, tous les habitans étaient au travail. Villagran a de l’avenir, car c’est le rond-point où viennent se croiser les routes de Matamoros, de Monterey, de San-Luis et de Tampico ; mais il lui manque des forces régulières pour la protéger.

Prévenue que neuf des notables étaient sortis de Linarès pour la rallier, la troupe française se porta à leur rencontre jusqu’au Pilon. Le Pilon sert de limite à l’état de Tamaulipas, qu’il sépare du Nuevo-Leon ; ce torrent de funeste mémoire n’est encore qu’un