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civilisées de l’Europe ne saurait être acceptée avec trop de réserve, et il suffit d’un court examen pour reconnaître que cette classification singulière repose heureusement sur une vue trop étroite, et partant fausse, des élémens de la question. Pour quiconque prend la peine d’y réfléchir, deux intérêts sont en présence dans le problème que toute demande d’extradition soulève : d’une part, le bien-être et la moralité de la société humaine sont intéressés à ce qu’il ne suffise pas au coupable de franchir une frontière pour trouver contre la justice des hommes un inviolable asile, et à ce point de vue on peut se croire en droit de soutenir que le plus ou moins de facilité que s’accordent mutuellement les peuples pour l’extradition des accusés est un signe de leur civilisation même ; mais d’autre part il n’importe guère moins à la sûreté et à la dignité de la société humaine que l’étranger réfugié ou simplement établi chez un peuple ne soit point privé de cet asile ou de ce séjour, ni rejeté de cette hospitalité sans une juste cause, et à ce point de vue on peut dire encore que la civilisation d’un peuple se mesure aux garanties dont il entoure sur son territoire la liberté et la sécurité de l’étranger. Si notre ministre des affaires étrangères avait bien voulu considérer ces deux côtés de la question ; ces deux intérêts, non moins respectables l’un que l’autre, qui se trouvent en présence lorsqu’il s’agit d’extradition, il eût été sans doute moins rigoureux dans ses conclusions et moins sévère à l’égard du peuple anglais. Il y a en effet deux façons de s’écarter de la civilisation et de tomber dans l’état barbare lorsqu’il s’agit de l’extradition des accusés. Si cette extradition est impossible, si l’impunité est assurée au coupable assez prompt et assez heureux pour franchir à temps une frontière, la civilisation reçoit de cet état de choses un dommage qui n’est pas sans honte ; mais le dommage et la honte ne sont pas moindres si l’extradition de l’étranger est trop facile, s’il suffit à un gouvernement de réclamer partout ses nationaux pour les reprendre, si les frontières qui maintiennent entre les peuples une indépendance et une diversité salutaires sont décidément abaissées devant l’esprit de persécution et de vengeance, si les pouvoirs humains peuvent atteindre en tout lieu leurs ennemis ou leurs victimes, comme les centurions des césars rejoignaient sans peine, aux extrémités du monde alors connu, des hommes qui étaient le dernier exemple et le dernier honneur de leur patrie dégénérée.

Le but véritable de la civilisation, l’objet légitime des conventions qui interviennent à cet égard entre les peuples est donc de trouver un juste milieu, un terme raisonnable entre la trop grande difficulté et la trop grande facilité de l’extradition de l’étranger. Or il est aisé de comprendre que le degré de facilité accordé par