Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/1049

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 février 1866.

Des devoirs à la fois très graves et très élevés sont imposés en ce moment, en France, aux hommes de droite raison et aux gens de cœur qui s’efforcent, par la revendication des libertés légitimes et nécessaires, de régénérer et d’assainir la vie politique de notre pays. Nous ne savons si nous nous trompons, mais il nous semble que rarement à notre époque des occasions aussi importantes que les circonstances actuelles ont dû émouvoir ceux qui s’occupent des affaires publiques. Le mal, si l’on veut, n’est aigu nulle part, et cependant tout ce que l’on voit et l’on entend ne laisse dans les esprits réfléchis que des impressions tristes. Ceux qui ont cru qu’un système de compression temporaire serait utile aux intérêts de l’ordre et de la conservation peuvent commencer à s’apercevoir de la méprise qu’ils ont commise. Le silence forcé, les entraves artificiellement opposées aux compétitions naturelles de la vie politique, ne produisent point, on le voit bien aujourd’hui, la paix des intérêts et des idées, la conciliation des esprits, la santé des âmes. Ne dirait-on pas qu’à force de rester muettes et solitaires les opinions sont devenues plus extrêmes, plus violentes, plus intraitables ? Est-on sûr que le pouvoir ait gagné en prévoyance, en activité, en esprit de suite, tout ce que l’on attendait pour lui d’une concentration d’autorité sans exemple et de l’anéantissement des limitations anciennes ? Nous avons sous les yeux le spectacle d’une anarchie morale d’une forme nouvelle. Ne pouvant pas se rencontrer sur le terrain de la vie politique pratique, où l’on est sans cesse obligé de transiger en se combattant, on lutte, on se passionne, on s’opiniâtre dans l’antagonisme des principes absolus et irréconciliables. L’ardeur des sentimens ne connaît plus ces apaisemens gaillards que donne la franchise ; on ne sait plus appeler les choses par leurs noms ; on ne dit pas ce qu’on a sur le cœur ; on fermente et l’on s’aigrit dans la dissimulation et dans la réticence. Au milieu de préoccupations très graves, on s’emporte à une incroyable fureur