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même de son devoir d’expliquer pourquoi il n’existait pas de planètes entre Mars et Jupiter. A l’origine des choses, disait-il, Jupiter avait attiré à lui toute la matière nébuleuse qui devait engendrer la planète intermédiaire. Mars était si petit et manquait de satellites pour une raison analogue : une portion de son contingent lui avait été enlevée par la planète colossale.

Cependant l’idée de Kepler germa dans les esprits. Lambert appela de nouveau l’attention des astronomes sur le vide qui semblait exister entre Mars et Jupiter. Le professeur Titius découvrit une loi, ou, si l’on veut, une analogie extrêmement curieuse, qui semblait venir à l’appui de ces spéculations. Il avait imaginé d’écrire la série suivante, dans laquelle chaque nombre est le double du précédent : 0, 3, 6, 12, 24, 48, 96, 192[1]. En ajoutant 4 à chacun de ces nombres, il obtenait cette autre série : 4, 7, 10, 16, 28, 52, 100, 196. Les quatre premiers termes, ainsi que le sixième et le septième, exprimaient à peu de chose près les distances relatives qui séparent du soleil les six planètes connues du temps de Kepler : 4 représentait la distance de Mercure, 7 représentait celle de Vénus, 10 celle de la Terre, 16 celle de Mars, 52 celle de Jupiter, et 100 la distance de Saturne ; mais le nombre 28 (comme aussi 196) ne représentait rien, et de là à supposer l’existence d’une planète encore cachée dans les limbes de l’inconnu il n’y avait qu’un pas.

La loi de Titius, publiée dans sa traduction allemande de la Contemplation de la nature de Bonnet, fut popularisée par l’astronome Bode, directeur de l’observatoire de Berlin, qui la considérait comme une révélation ; il en a tant parlé qu’on a fini par l’en croire l’auteur et par attacher son nom à cette suite de nombres. La découverte fortuite de la planète Uranus, par William Herschel, en 1781, vint d’ailleurs apporter une confirmation inattendue à la loi de Bode-Titius. La distance d’Uranus au soleil, déterminée par les observations, diffère très peu du nombre 196, dernier terme de la fameuse série. Cette série aurait permis, disait-on, de pressentir la découverte d’une planète au-delà des confins connus du système solaire ; n’était-il pas dès lors infiniment probable qu’un jour elle serait complétée par la découverte du terme intermédiaire entre Mars et Jupiter ? Le baron de Zach alla jusqu’à publier à l’avance les élémens de la planète supposée, et Lalande organisa en 1796 une association de vingt-quatre astronomes, dont chacun explora minutieusement la vingt-quatrième partie du zodiaque. Cette recherche fut sans résultats. Joseph Piazzi, directeur de l’observatoire de Palerme, travaillant depuis dix ans à dresser un catalogue complet des étoiles, remarqua que l’une d’elles, qu’il avait observée le 1er janvier 1801, n’était plus le lendemain à la place où il l’avait marquée sur sa carte ; en revanche, il y avait un peu plus loin une étoile que Piazzi n’avait pas remarquée la veille. Le 3 janvier, il put constater un changement analogue. Dès lors, plus de doute : il avait rencontré une étoile

  1. En faisant abstraction du premier terme zéro.