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que les projets et les demandes de concessions ne fissent pas défaut, cela paraissait douteux. En même temps on se demandait s’il serait prudent de livrer à l’industrie particulière la propriété et l’usage d’un nouveau moyen de transport qui était considéré comme un instrument de la puissance publique. Imbu de ses anciennes doctrines en matière de centralisation et secondé par les défiances d’un parti soi-disant démocratique, qui voyait dans les futures associations de capitalistes la création d’une aristocratie financière, le gouvernement pouvait croire qu’il était non-seulement de son droit et de son intérêt, mais encore de son devoir de se charger de l’entreprise des voies ferrées, et il inclinait vers l’exemple de la Belgique ; mais ce qui avait été exécuté en Belgique était-il praticable en France, sur un territoire beaucoup plus étendu et dans des proportions nécessairement beaucoup plus larges ? C’était par centaines de millions qu’il fallait compter pour se mettre sérieusement à l’œuvre, et, après avoir objecté l’insuffisance des ressources dont pouvait disposer l’industrie privée, on arrivait à reconnaître que le fardeau serait également très lourd pour le trésor. En outre, quoique l’on fût loin de soupçonner alors l’immense développement que prendraient dans l’avenir les voies ferrées, les esprits les plus réservés prévoyaient que les premiers millions dépensés ne tarderaient pas à en appeler d’autres, que le réseau primitif s’étendrait plus ou moins vite, qu’il y aurait des besoins impérieux, des exigences irrésistibles, et qu’un jour viendrait où le trésor lui-même serait obligé de se déclarer impuissant. Enfin, si l’on adoptait le système de l’exécution par l’état, par quelle ligne allait-on entamer le réseau ? Comment satisfaire à toutes les demandes, à toutes les impatiences ? Comment se défendre contre les rivalités et les jalousies qui devaient infailliblement se produire entre les différentes régions ? — NOUS n’avons pas à retracer ici l’historique des discussions et des incidens qui précédèrent l’enfantement si laborieux des chemins de fer en France. Disons seulement qu’après une longue lutte on s’arrêta au système mixte qui fut consacré par la loi de 1842. L’état supportait une part des frais d’établissement ; l’industrie particulière devait achever la construction, fournir le matériel, et elle obtenait en échange le droit d’exploitation pendant un certain nombre d’années. Ce n’était point le système anglais, puisque l’état, participant aux dépenses de construction, demeurait nu-propriétaire des voies ferrées, et que, pour l’exploitation, il se réservait la faculté de résilier le bail passé avec les compagnies. Ce n’était pas non plus le système belge, puisque l’état appelait pour la construction le concours de l’industrie particulière, et qu’il concédait à celle-ci le droit d’exploitation. C’était un système nouveau dont le mécanisme réalisait une transaction entre les deux modes