l’homme libre. Voilà l’économie, une vertu, si nous la comprenions, souvent plus grande que l’austérité fastueuse de Caton.
Hélas ! l’économie, comme toutes nos vertus, est côtoyée par un vice. Elle n’est d’ailleurs qu’un palliatif tant qu’elle ne se transforme pas, car il ne suffit pas de savoir subordonner la dépense à la recette ; il faut prévoir le jour où la dépense fera défaut, prévoir le chômage, la maladie, la vieillesse. Il faut aussi, quand on laisse une famille après soi, prévoir la mort. L’économie doit donc s’achever et se compléter par l’épargne. L’épargne est le seul générateur de la richesse qui soit à la portée du pauvre ; il commence par celui-là et rencontre d’autres moyens chemin faisant. Il y a possibilité d’épargner toutes les fois qu’il y a un écart entre la recette et le strict nécessaire.
Le nécessaire, dans la rigoureuse acception du mot, est la plus faible somme qu’on puisse dépenser pour faire subsister un homme sans l’exposer à une maladie immédiate ou à la mort. Ce mot « le nécessaire » a dans la langue courante une grande élasticité, et il en est de même du mot « richesse, » parce que toute différence entre le nécessaire et la recette peut être transformée en richesse au moyen de l’épargne. Le nécessaire, dans le sens que lui donne la langue usuelle, varie avec les conditions et les usages établis. Il n’est pas le même pour un homme du monde ou pour un ouvrier, pour un ouvrier d’élite ou pour un manœuvre. Cela n’implique du reste aucune inégalité politique ou sociale ; ce n’est pas un principe, ce n’est pas une règle : c’est un fait. Un fonctionnaire ne pourrait pas, quand il le voudrait, sortir en blouse. Il y a une quantité de gens très pauvres, plus pauvres que la plupart des ouvriers, pour lesquels une mise décente et par conséquent assez coûteuse fait partie du nécessaire. Ce sont là des différences dans le nécessaire qui tiennent aux détails de l’organisation sociale ; d’autres tiennent à la nature même. Par exemple, une nourriture substantielle est plus ou moins nécessaire suivant la nature des tempéramens et celle des occupations ordinaires. Non-seulement le nécessaire varie avec les classes, mais il varie avec le temps pour chaque classe, et c’est même cela qui constitue essentiellement le progrès. Ainsi en France une chaussure complète fait à présent partie du nécessaire pour un ouvrier des campagnes, et ce n’est pas depuis longtemps. Nos conseils de salubrité, qui pourtant usent bien mollement de leurs droits, ne laisseraient pas subsister une heure les taudis dont les artisans se contentaient il y a un siècle. Le nécessaire dont nous parlons n’est pas ce nécessaire mobile et dont l’appréciation d’ailleurs dépend en grande partie de l’énergie des caractères : c’est ce que nous pourrions appeler le nécessaire absolu, c’est-à-dire, pour répéter la définition, « la somme qui