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rivages du Bosphore n’ont pas comme les bords du golfe de Naples un Vésuve fumant qui domine tout le paysage ; mais jadis ils eurent aussi leur volcan, ainsi que le prouvent les coulées de basalte qui forment les promontoires septentrionaux du détroit. Qu’étaient d’ailleurs les célèbres Cyanées, qui d’après la tradition erraient autrefois sur les vagues pour fermer le passage aux Argonautes ? Sans doute, ainsi que le suppose M. de Tchihatchef, c’étaient les produits de quelque éruption volcanique, et si les descriptions qu’en donnent Strabon et d’autres géographes de l’antiquité ne conviennent pas aux îles que l’on voit aujourd’hui, c’est que les oscillations du sol ont modifié le relief souterrain des mers. Les forces qui ont jadis fendu les montagnes de la Thrace et frayé une issue vers la Méditerranée aux flots de la Mer-Noire sont toujours à l’œuvre, et comme aux temps des premiers navigateurs elles déplacent encore les îles et les récifs sur le seuil du Bosphore.

C’est aux beaux rivages de ce détroit que M. de Tchihatchef veut conduire ses lecteurs. Et ce n’est point là une expression figurée, car l’un des buts principaux de l’ouvrage, qui, par son format et son prix, s’adresse spécialement à un public restreint de personnes riches, est bien de conseiller aux familles opulentes de l’Europe occidentale les bords du Bosphore comme lieu de villégiature pendant la charmante saison de l’été et du commencement de l’automne. Il est vrai que les autres parties de l’année sont fort peu agréables dans ce pays, et l’étranger qui veut jouir en hiver d’une température égale et douce doit bien se garder d’échanger les tièdes rivages de la Provence ou de l’Italie pour les froides côtes de la Mer-Noire et du canal de Constantinople. En effet, le climat annuel de cette région est des plus inconstans : les températures moyennes de chaque année et de chaque mois, à l’exception des mois d’été, y varient d’une manière imprévue, si bien qu’on pourrait se croire transporté successivement sous les latitudes les plus variées. D’ailleurs la moyenne générale de toutes ces températures, telle que M. de Tchihatchef a pu l’établir par de patientes observations de plus de dix-sept années, est relativement froide, puisqu’elle égale à peine celle de Bordeaux, de Trieste et de Venise, villes situées beaucoup plus au nord. Le nom d’Orient fait toujours penser aux palmiers, aux orangers en fleur ; mais ni Constantinople, ni les campagnes voisines de la Thrace et de la Bithynie n’offrent, comme les côtes de la Provence, des groupes de dattiers, des bosquets de citronniers ou même des cactus, des agaves et des oliviers. Le canal du Bosphore est librement ouvert à tous les vents qui descendent des régions polaires, en passant au-dessus des plaines basses de la Russie et des eaux de la Mer-Noire ; aussi les froidures de l’hiver y sont-elles parfois très intenses. Pendant l’ère historique, le détroit de Constantinople et la nappe avoisinante du Pont-Euxin ont été fréquemment recouverts de glace, ce qui prouve que, durant la période de congélation, la température de cette partie de l’Orient était analogue à celle de Copen-