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religieuse, ne viennent point, comme plus tard dans notre XVIIIe siècle, en troubler la poétique harmonie. Au lieu d’attaquer le christianisme, ils l’interprètent ; leur tolérance est celle des contemporains de Goethe, et Marsile Ficin semble un Schleiermacher. Élevé par Cosme, il explique à Laurent « qu’entre la philosophie et la religion règne la plus étroite parenté, que, le cœur et l’entendement étant selon le mot de Platon les deux ailes par lesquelles l’homme remonte vers sa patrie céleste, le prêtre y arrive par le cœur et le philosophe par l’entendement, — que toute religion renferme en soi quelque chose de bon, que ceux-là seuls honorent Dieu véritablement qui lui rendent un hommage incessant par leurs actions, leur bonté, leur véracité, leur charité, leurs efforts pour atteindre la clarté de l’intelligence. » Pareillement il pose avec Platon que « les sphères célestes sont mues par des âmes qui tournent perpétuellement, se cherchant elles-mêmes, » et il développe une astronomie païenne au-dessous d’un ciel chrétien. Enfin il fait rentrer la génération du Verbe dans cette loi universelle par laquelle « chaque vie engendre sa semence en elle-même avant de se manifester au dehors, » et, reliant la philosophie, la foi et les sciences, il en compose un édifice harmonieux où la sagesse laïque et le dogme révélé se complètent et s’épurent l’un par l’autre, non-seulement pour fournir un enclos et des images à la foule grossière, mais encore pour ouvrir un promenoir aérien et des perspectives indéfinies à l’élite des esprits pensans.

De ce trait principal, les autres suivent. Ce qu’ils recherchent, ce n’est pas le plaisir simple, c’est la beauté dans le bonheur, j’entends l’épanouissement des instincts nobles aussi bien que des instincts naturels. Ces banquiers-magistrats sont libéraux autant qu’habiles. En trente-sept ans, les ancêtres de Laurent ont dépensé en œuvres de charité ou d’utilité publique six cent soixante mille florins. Laurent lui-même est un citoyen à la façon antique, presque un Périclès, capable d’aller se remettre aux mains d’un ennemi, le roi de Naples, pour détourner par les séductions de sa personne et de son éloquence une guerre qui menace son pays. Sa fortune est une sorte de trésor public, et son palais un second hôtel de ville. Il accueille les savans, les aide de sa bourse, les fait entrer dans son amitié, correspond avec eux, fournit aux frais des éditions, achète des manuscrits, des statues, des médailles, patronne les jeunes artistes qui donnent des espérances, leur ouvre ses jardins, ses collections, sa maison, sa table, avec cette familiarité affectueuse et cette ouverture de cœur sincère et simple qui met le protégé debout à côté du protecteur, comme un homme devant un homme, et non comme un petit vis-à-vis d’un grand. Le voilà enfin ce personnage régnant en qui tous les contemporains reconnaissent l’homme accompli du