Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en combattant ! » Et il marche la poitrine au vent sur les baïonnettes ; il croit accomplir un devoir : il combat, il meurt. Et quand un nuage de poudre couvre la cité, quand le fusil porte la demande et le canon la réponse, que fait le boute-feu déconcerté de l’erreur populaire ? Il écoute en gémissant « la sublime horreur de la canonnade. »


III

Tout est fini, la république est frappée ; peut-être réussirait-on encore à la sauver en rapprochant par un mot de cœur la classé victorieuse de la classe vaincue. Proudhon ne travaille au contraire qu’à élargir et à envenimer la blessure. Les bourres de fusil fument encore sur le pavé qu’il reprend la lutte en parole. « Voici le terme, écrit-il. Comment payer le terme ? Il ne s’agit plus de sauver le prolétaire, on l’a jeté à la voirie…. Allez en deuil, le crêpe au bras, le drapeau noir flottant, les femmes en pleurs répétant en chœur la romance de misère : Cinq sous ! allez au National, race désespérée, allez lui demander ce qu’il a fait de la république ! » Le texte ici réclame un commentaire ; Proudhon dit le National, mais le National n’est que le surnom de Cavaignac. Proudhon avait accusé le général d’un nouveau massacre de septembre. Le parquet saisit son journal ; l’auteur va trouver le ministre de la justice, il demande la levée de la poursuite, et comme un service en attend ira autre en bonne économie, il promet en échange de respecter la politique du général. « Mieux vaut Galilée à genoux qu’en prison, » avait-il dit ; il conforme sa conduite à sa doctrine. M. Marie ne pouvait en conscience accepter le marché : un ministre de la justice ne saurait dessaisir la justice. Le lendemain Proudhon écrivait cet article sur le terme, qui n’était, à proprement parler, que la dernière cartouche de juin tirée en l’air pour effrayer le passant.

Cavaignac suspendit le journal de Proudhon du droit de l’état de siège ; il eut tort assurément : il transformait un émeutier après coup en victime de l’arbitraire. Proudhon rebondit sous la poursuite, et quelque temps après il présente à l’assemblée une espèce de jubilé à la manière juive, une faillite universelle par sixième. Tout débiteur, quel qu’il soit, emprunteur, fermier, locataire, ne paiera plus que les deux tiers de l’annuité qu’il doit servir à son créancier ; quant au tiers réservé, une moitié restera au débiteur pour entretenir son ménage, et l’autre moitié passera dans la caisse du fisc pour former le budget. La commission chargée de l’examen de la proposition choisit M. Thiers pour rapporteur ; le rapport traita sans miséricorde la banqueroute universelle du sixième. Proudhon demande une remise à huitaine pour préparer sa