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continent, sur une île ou en pleine mer, comme les pôles magnétiques, dont l’un est sur le continent du nord de l’Amérique, l’autre au milieu de l’Océan-Antarctique, sans que rien signale ces deux points, où viennent converger les directions prolongées de toutes les boussoles du globe. Il en est de même pour la température.

Les lignes isothermes nous montrent par leurs courbures qu’il existe dans notre hémisphère deux-pôles du froid, c’est-à-dire deux points où la température moyenne est plus basse que partout ailleurs. L’un de ces points est situé dans l’Amérique boréale, l’autre au nord de la Sibérie asiatique ; mais il serait du plus haut intérêt de constater de combien le climat du pôle nord astronomique de la terre est moins âpre que celui des deux pôles du froid. Le dernier travail de Plana, un des plus grands géomètres dont l’Italie moderne puisse s’enorgueillir, donne un nouvel intérêt à cette recherche. Plana démontre en effet géométriquement que la chaleur due à l’action du soleil décroît d’intensité du cercle polaire (latitude 66° 1/2) jusqu’au pôle astronomique, et Plana en conclut hardiment que les mers des deux pôles doivent être libres de glaces pendant une grande partie de l’année. La distribution des terres et des mers, la direction des vents et celle des courans, l’état habituellement nuageux ou serein du ciel polaire, modifient sans doute profondément cette loi mathématique. C’est donc un problème des plus intéressans dont la physique du globe attend la solution directe et définitive.

Les voyages entrepris pour atteindre le pôle nord auraient encore une autre importance : c’est de faire connaître une portion de la surface terrestre complètement inexplorée jusqu’à ce jour, une surface équivalente aux quatre cinquièmes de l’Europe environ. La côte du Groenland s’arrête-t-elle par le 76e degré de latitude, où Sabine et Clavering sont parvenus en 1823 ? Se prolonge-t-elle au contraire, comme le pense le géographe Petermann[1], sous la forme d’une longue presqu’île ou d’un archipel qui s’étendrait à l’occident du pôle nord jusque dans le voisinage du détroit de Behring, et dont l’île Herald, découverte en 1849 par Kellett, qui lui donna le nom de son navire, serait le dernier anneau ? Derrière cette île, Kellett et ses compagnons virent se prolonger au loin une terre étendue, hérissée de sommets aigus qui perçaient les nuages. Déjà en 1762, le Russe Andrejev avait signalé dans ces parages une terre appelée Titigen et habitée par une peuplade qui se désignait elle-même sous le nom de Kraïhaï, et l’amiral Wrangel avait revu les parties élevées de cette terre du haut du cap sibérien de Jakan. Andrejev ne

  1. Geographische Mittheilungen, 1865, 4e cahier, où l’auteur a figuré ce prolongement du Groenland.