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il a séjourné deux étés avec son yacht sur les côtes orientales du Spitzberg pour chasser le renne, le phoque, le morse et l’ours blanc. En deux mois, il a tué avec un ami 200 pièces, sans compter les oiseaux. Il a interrogé plus de vingt chasseurs de morses norvégiens dont plusieurs ont passé vingt étés sur les bords de la banquise : tous sont contraires à l’idée d’une mer libre autour du pôle, mais avec des traîneaux attelés de chiens esquimaux il serait possible qu’on y arrivât en partant dans le courant de mars ou d’avril, avant que les glaces se mettent en mouvement vers le sud : il faudrait donc hiverner au Spitzberg. Le grand avantage pour l’équipage serait l’abondance de viande fraîche qui le mettrait à l’abri du scorbut.

Le célèbre géographe américain Maury se prononce en faveur de l’expédition par le détroit de Smith comme offrant plus de certitude que l’autre. L’assimilation entre les deux pôles énoncée par M. Petermann lui paraît aussi inexacte que si dans notre hémisphère on comparait le climat des îles britanniques avec celui du Labrador ou du Canada. La mer libre que découvrit James Ross après avoir forcé la banquise du pôle antarctique n’existe probablement pas autour du pôle boréal.

Le capitaine Richards, compagnon et ami de son collègue M. Osborn, exprime pour ainsi dire l’impression générale que cette discussion a laissée dans les esprits en disant que les deux tentatives seront également profitables aux sciences géographiques : l’une et l’autre feront connaître les terres et les mers qui avoisinent le pôle. Veut-on faire une expédition par terre, alors il faut partir du détroit de Smith. Aime-t-on mieux essayer par mer, c’est le Spitzberg qu’on doit préférer. Dans le premier cas, on emploiera six ou sept traîneaux et de 60 à 70 hommes. Les six premiers traîneaux retourneront au navire à mesure que les provisions qu’ils portaient seront à moitié épuisées. Un seul traîneau avec dix hommes parviendra donc au pôle : ce sera une reconnaissance, mais on ne saurait s’attendre à obtenir ainsi des résultats scientifiques. Si l’on envoie un navire par les côtes orientales du Spitzberg, il trouvera probablement une mer maniable en juillet, août et septembre. À cette époque, les glaces, sous l’influence des vents, des marées, de la pluie et de la température, se désagrègent et se brisent : c’est un phénomène périodique aussi constant, aussi régulier que la chute des feuilles en automne. Le pôle nord est entouré d’eau ou de terres ; dans le premier cas, un navire a de grandes chances d’y arriver ; dans le second, l’expédition hivernera dans quelque baie, et au printemps elle atteindra le pôle avec des traîneaux.

Nous sommes-nous trompé en pensant que le lecteur français suivrait sans fatigue cette mémorable enquête à laquelle nous avons