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noms divers la même question est sur le tapis dans les deux assemblées. Au sénat, l’opposition à la mesure est de 10 contre 27 ; un amendement du sénateur Davis contre la rétroactivité de la loi n’a obtenu que 7 voix. Le sénateur Johnson, du Maryland, a prononcé contre la loi un discours dont la modération extrême montre les progrès de l’abolitionisme : il faut bien que le parti de l’esclavage s’évanouisse à mesure que la chose expire. Le changement est si grand que les anciens démocrates sudistes, autrefois si intraitables, défendent aujourd’hui la cause de la modération et du bon sens contre la violence inapaisée des radicaux. Tandis que ceux-ci, et à leur tête le sénateur Wade, de l’Ohio, conservent dans leur triomphe toute l’animosité d’une minorité opprimée et mettent souvent leurs rancunes à la place de l’intérêt public, les esclavagistes, devenus humbles et doux parce qu’ils sont faibles, n’offrent plus qu’une molle résistance à ce qui est devenu inévitable. Ils cherchent à temporiser, à ralentir plutôt qu’à empêcher l’abolition, et je dois dire qu’ils ont souvent l’avantage de la prudence et de la saine raison. « Plutôt trente ans de guerre, s’écrie le sénateur Wade, que la paix sans l’abolition absolue ! » Les radicaux se rappellent qu’ils étaient il y a peu d’années, courbés sous la réprobation publique, et je les excuse volontiers de prendre aujourd’hui leur revanche des mépris dont on les abreuvait. Un tel langage pourtant ferait croire que le but de leur parti, ce but déclaré dans les manifestes, dans les résolutions de la convention de Baltimore, n’est pas tant l’union que l’abolition. Les démocrates leur ont souvent fait ce reproche, et toujours les républicains l’ont repoussé comme une calomnie. Qu’ils y prennent garde : le courant les porte au pouvoir, l’opinion publique est à eux, et la sagesse même de leurs adversaires prouve leur victoire incontestée ; mais, s’ils ne se modèrent pas eux-mêmes, l’opinion pourra bien s’arrêter à mi-côte, et les démocrates reprendre l’avantage avec une politique renouvelée.

Dans la chambre, la discussion est encore plus significative. Plusieurs démocrates, MM. Yeaman, du Kentucky, Oddell, de New-York, pensent qu’il faut en finir avec cette question maudite de l’esclavage et la balayer impitoyablement de leur chemin. Quand Jefferson Davis lui-même l’abandonne et menace de devenir le plus radical des abolitionistes, comment veut-on que les démocrates du nord s’obstinent à défendre une cause délaissée ? Une fois l’obstacle abattu, les partis se retrouveront à armes égales, et ce n’est probablement pas le moindre motif de ce changement de front imprévu. Lorsqu’on veut gagner la course, il ne faut pas prendre son cheval mort sur ses épaules, mais abandonner sa carcasse inutile et voler, si l’on peut, celui de l’ennemi. Enfin l’abolition a bien ses mérites,