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Grant. Butler, par sa popularité, commençait, dit-on, à lui porter ombrage. On opposait Butler le radical à Grant le démocrate, on parlait de lui sérieusement comme du secrétaire de la guerre du futur ministère anti-Seward et anti-Stanton. Cela déplaisait au lieutenant-général et au ministre, qui se seraient, assure la Tribune, coalisés pour le frapper d’avance et ruiner son avenir ; mais, quels que soient les motifs intéressés des vengeurs, justice n’en est pas moins faite, et le public attend de curieuses révélations.


14 janvier.

Je suis retourné au congrès, cette fois en me faisant introduire par M. Sumner sur le floor de la chambre des représentans, où M. Elliot, du Massachusetts, m’a procuré un siège auprès des orateurs, et où M. Winter Davis, le président du comité des affaires étrangères, m’a cédé sa place pendant que M. Stevens parlait. Ce seul détail vous montre l’obligeance extrême de ces messieurs.

La séance a été intéressante et animée, les orateurs en général écoutés. Le premier qui ait parlé est M. Rollins, du Missouri, ancien war democrat, ancien grand propriétaire d’esclaves, et qui à une certaine rudesse inévitable chez les hommes de l’ouest joint quelque chose de franc et de courtois qui le tire du commun. Longtemps opposé à l’amendement abolitioniste, il se levait aujourd’hui pour le soutenir. Frappé lui-même par la mesure émancipatrice de la convention de son état, il en faisait pourtant l’apologie et la glorification. Il aurait, dit-il, consenti au maintien, même à l’extension de l’esclavage pour sauver l’Union : il consentait maintenant à l’abolition, puisque l’abolition était devenue nécessaire au succès de la guerre et à la paix publique. Il était curieux d’entendre ce maître d’esclaves dépouillé d’hier par les doctrines nouvelles défier les démocrates d’appuyer l’esclavage sur aucun argument religieux, moral, politique, ou même sur un intérêt de l’ordre économique, — puis réclamer avec énergie un affranchissement général, sans condition, sans compensation pécuniaire, au nom de la justice et du bien public. Pourquoi le Missouri, fondé longtemps avant l’Illinois, son voisin, est-il resté un état pauvre et à moitié désert, tandis que l’Illinois s’est peuplé, en quelques années, de deux millions d’hommes ? Parce que l’esclavage, dominant au Missouri, y tuait l’activité commerciale, industrielle, agricole même des habitans, parce que l’esclavage est un germe de mort, qu’il repousse l’émigration européenne, et que le travail libre ne peut exister à côté du travail esclave ; mais, Dieu merci, l’irrésistible courant de la civilisation moderne balaie devant lui ce reste de la barbarie, et déjà le Missouri se régénère, comme feront bientôt, de leur propre aveu, les états les plus