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une bûche pour oreiller. « Si vous voyiez un cheval mourant, dit l’un de ces malheureux aux commissaires chargés de l’enquête, ne lui mettriez-vous pas un peu de paille sous la tête ? Lui laisseriez-vous, dans son agonie, battre la tête sur un morceau de bois ? »

Parfois, quand les prisons de Libby, de Belle-Isle, de Danville, étaient trop pleines, on entassait leurs habitans, malades, blessés, mourans, dans le sang et dans l’ordure, pêle-mêle sur des fourgons à bœufs, et on les expédiait par le chemin de fer en Géorgie, à la prison d’Andersonville, illustrée par les exploits glorieux du général Winder et du capitaine Wirz. C’est un grand parallélogramme de vingt-cinq acres, dans un bas-fond marécageux où passe un ruisseau qui le submerge à moitié. Pendant un an, vingt-huit, trente et jusqu’à trente-cinq mille hommes ont croupi dans ce cloaque sous la menace de cinq batteries de canons chargés à mitraille ; là, pas le moindre abri ; peu de prisonniers étaient vêtus, beaucoup absolument nus ; on leur donnait huit onces seulement du même pain moisi, deux onces de porc gâté, parfois une cuillerée de riz ; n’ayant pas d’ustensiles et ne pouvant les cuire, ils mangeaient souvent leurs rations toutes crues. L’eau du ruisseau était fétide, et le marais devint vite un égout immonde. Il fallait pourtant boire cette eau ; aussi mourait-on par milliers : on ramassait chaque jour plus de cent cadavres. Comme ceux qui sortaient pour les enterrer avaient au moins la permission de rapporter un peu de bois, on se disputait les cadavres comme une proie. D’ailleurs quiconque faisait un pas hors de l’enceinte, se penchât-il seulement pour cueillir une herbe ou ramasser un brin de bois mort, était instantanément fusillé. On a vu des hommes pris de désespoir sortir exprès de la ligne pour se faire tuer par les gardes ; d’autres tombaient dans l’insensibilité et l’idiotie. Je ne finirais pas si je vous disais tous ces détails hideux et terribles. Les bourreaux sont en même temps des brigands infâmes qui pillent et rançonnent leurs victimes. Voilà pourtant les mœurs généreuses des preux « chevaliers de l’esclavage ! » On vous a dit que le nord lui-même était responsable des souffrances de ses soldats prisonniers, qu’en refusant si longtemps l’échange il les avait livrés volontairement aux tortures des prisons du sud. Rappelez-vous à quelle occasion a été rompue la convention d’échange, par quelle insultante prétention le sud avait refusé de traiter en prisonniers de guerre les soldats et les officiers des régimens noirs. A ses yeux, les soldats de couleur de l’armée des États-Unis n’étaient que des esclaves fugitifs : il prétendait avoir le droit, soit de les passer par les armes comme rebelles ; soit de les vendre ou de les employer comme esclaves. Quant aux officiers, il voyait en eux