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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/509

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son incontestable autorité. L’histoire de la philosophie peut être considérée à un double point de vue, au point de vue de l’histoire et au point de vue de la philosophie : nous étudierons successivement ce double objet.


I

L’objection la plus répandue contre l’histoire de la philosophie est celle-ci : les philosophes, dit-on, feraient beaucoup mieux de nous apprendre ce qu’il faut penser que de nous apprendre ce que les autres ont pensé. Que nous importent les opinions ? Ce qu’il nous faut, c’est la vérité. Cette objection repose sur une confusion qu’il importe d’éclaircir, sur la confusion de la philosophie et de son histoire.

Prise dans son idée exacte et précise, l’histoire de la philosophie n’est pas la philosophie, et même à la rigueur ne fait point partie de la philosophie, pas plus que l’histoire de la physique ne fait partie de la physique, si ce n’est à titre d’annexe ou d’appendice. Est-ce une chose bien hardie que d’avancer que l’histoire de la philosophie est une partie de l’histoire, et non de la philosophie même ? Elle est un chapitre des sciences historiques, comme l’histoire littéraire, l’histoire des beaux-arts, l’histoire des religions. L’historien des religions n’est pas tenu de nous donner une religion nouvelle, ni celui des beaux-arts de faire un chef-d’œuvre en peinture, ni celui de la guerre d’être un grand capitaine : ainsi l’historien de la philosophie n’est pas nécessairement un grand philosophe, ce n’est pas son objet. Sans doute il ne lui suffit pas de raconter, il faut encore qu’il interprète et qu’il juge, et le critique doit s’unir en lui à l’érudit ; mais c’est là le propre de tout historien en tout genre. L’historien politique juge les hommes et les événemens, l’historien des lettres ou des arts juge les œuvres, l’historien de la philosophie juge les systèmes. Or celui qui juge n’est pas tenu de remplacer ce qu’il juge, il use de son droit en approuvant ou en désapprouvant ; mais son but n’est pas d’ajouter à la somme des vérités nouvelles et de résoudre les problèmes inexplorés.

Il ne faut pas oublier d’ailleurs que toutes les sciences, quelque effort que l’on fasse pour les séparer en théorie, s’unissent toujours plus ou moins dans la pratique. Le chimiste ne peut pas se passer de physique, le physiologiste ne peut pas se passer de chimie, et cependant la chimie n’est pas la physique, ni la physiologie la chimie. De même l’historien de nos jours doit être nécessairement plus ou moins économiste, le juriste doit être plus ou moins historien, et cependant l’histoire n’est pas l’économie politique, et le