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philososophie ; mais si la méthode éclectique est hors de toute contestation sérieuse, en est-il de même de l’éclectisme considéré comme système de philosophie ? C’est la dernière question que nous voudrions examiner.

Rien de plus simple, pour peu qu’on ait l’esprit droit, le caractère bien fait et une solide éducation philosophique, que de reconnaître la vérité partout où elle se présente, que de rendre justice successivement à Descartes et à Locke, à Spinoza et à Kant. Cependant, lorsque l’on a ainsi dégagé de chaque philosophie la part de vérité que l’on a cru y découvrir, on a devant soi un travail bien autrement difficile : c’est de concilier, de joindre ensemble toutes ces parcelles de vérité, d’en faire un tout systématique et régulier. C’est là surtout que la faiblesse de la raison humaine se fait sentir : on voudrait pouvoir en quelque sorte faire tenir tous les principes dans un même sac ; mais quand on presse d’un côté, ils ressortent de l’autre, comme lorsqu’on veut faire entrer trop de choses dans une boîte trop étroite. Si tel point de vue est vrai, comment tel autre peut-il l’être également ? Par quel moyen les mettre d’accord ? Quand on lit Kant, on en retire cette impression, que la raison est trop ambitieuse dans ses théories métaphysiques ; mais si cela est vrai, comment la métaphysique elle-même est-elle possible ? Jusqu’où l’est-elle, et dans quelle mesure ? Quelle est la vraie limite de ce que nous pouvons et de ce que nous ne pouvons pas savoir ? Admet-on que la raison atteint l’absolu, si peu que ce soit, c’est Kant qui a tort. Admet-on au contraire qu’elle ne l’atteint pas, c’est Kant qui a raison, et tous les autres ont tort. Que devient l’éclectisme ? Je prends un autre exemple. Incontestablement il y a du vrai dans le panthéisme. Personne ne peut nier que Dieu ne soit en toutes choses d’une certaine manière. Des choses qui seraient absolument hors de Dieu seraient sans Dieu. Ainsi Dieu est partout, Dieu est en tout, est Deus in nobis. Voilà le vrai du panthéisme. D’un autre côté pourtant, il y a des créatures, il y a des individus, il y a des forces indépendantes. Si l’on n’admet pas cela, Dieu est tout ; si Dieu est tout, tout est Dieu ; si tout est Dieu, il n’y a pas de Dieu. Maintenant comment ces deux vérités peuvent-elles se concilier ? comment, si Dieu est en tout et partout, peut-il y avoir quelque chose qui ne soit pas lui ? Et, s’il y a quelque chose qui n’est pas lui, comment est-il en tout et partout ? comment concilier enfin l’infinité du Créateur avec l’indépendance des créatures ? On essaie de remplir l’abîme par la création continuée, les causes occasionnelles, la promotion physique ; on invente les émanations alexandrines, le process hégélien, etc. Toutes ces hypothèses renferment cependant la même difficulté