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l’intervalle pendant lequel l’émigration prit un développement continu et le plus considérable, il partit 191,000 émigrans[1]. En ajoutant à ce nombre les 100,000 environ qui avaient quitté le Caucase dans les quatre années précédentes, les 70,000 colonisés dans les plaines du Kouban, on aura en somme 365,000 âmes, et si l’on admet que pendant cette période de quatre années (1860-1864) où sévirent à la fois le fer de l’ennemi et tous les fléaux réunis de la nature, 40,000 succombèrent, on retrouvera le chiffre donné par M. de Fadeief comme total de la population primitive.

Les arrivages qui se succédèrent à Trébizonde, à Samsoun et sur les autres points du littoral ottoman de la Mer-Noire, additionnés d’après les renseignemens que fournit la Gazette médicale d’Orient, nous donnent un chiffre de 200,000 réfugiés pour l’intervalle écoulé de décembre 1863 au mois d’avril 1864, chiffre confirmé par M. Barozzi dans sa réponse au correspondant du Journal de Constantinople, et très rapproché des 191,000 comptés par l’auteur russe. C’est donc une avalanche de 200,000 indigens qui tomba tout à coup sur la Turquie. Et quels indigens ! Nous en avons dit assez sur leur poignante détresse pour ne pas reculer devant la pénible tâche d’en étaler ici le tableau dans tous ses détails.

Les indications consignées dans la Gazette médicale d’Orient, et dont la provenance n’a rien ici de suspect, font foi que les décès, au moment de la plus grande affluence des émigrans, furent de 1 pour 100 par jour, si bien que si cet état de choses se fût prolongé pendant trois mois et quelques jours, ce court espace de temps les aurait vus emportés tous jusqu’au dernier. On peut inférer de ce qui est dit dans le même recueil qu’il en mourut un tiers à peu près dans les lieux de leur débarquement primitif, à Trébizonde, Samsoun et ailleurs, sur la même côte, un autre tiers environ pendant leur translation et leur premier séjour dans les provinces où ils furent disséminés. En tenant compte de ceux qui restaient des précédentes émigrations depuis 1860, on peut supposer que le nombre des survivans aujourd’hui est inférieur à 100,000, dispersés de tous côtés sur la vaste étendue de l’empire ottoman.

  1. Voici comment ce chiffre se décompose :
    Montagnards partis des ports libres du littoral tcherkessc jusqu’à la moitié de mars 40,000
    Depuis cette époque, embarqués sur des kotchermas turques sous la surveillance des officiers russes… 15,000
    Par Taman : 27,000
    Par Novorossiik, jusqu’au 1er juin 63,000
    Id. postérieurement 25,000 88,000
    Par Touapsé 21,000
    Total 191,000