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lui prêtait vie, l’épouser un jour. La guerre n’est pas pour eux un métier, c’est un devoir austère auquel ils sacrifient sans récompense la plus belle part de leur jeunesse. Comparez ces soldats patriotes à certains de nos traîneurs de sabre et de nos beaux fils de famille oisifs qui embrassent le métier des armes pour le plaisir de l’uniforme ou de l’épaulette, et vous comprendrez la distance qui sépare une nation militaire d’une nation de citoyens.

Pénétrons à présent dans la tente du soldat. Elle est plus petite et plus basse que celle de l’officier. Quatre hommes couchent ensemble sur une espèce de table basse, et ils mettent en commun leurs couvertures. Par ce temps froid de l’hiver, ils se blottissent auprès du feu. La discipline leur interdit d’ailleurs de rôder au dehors, et la discipline est à présent fort sévère dans l’armée américaine. Avec l’unité du costume s’est introduite l’habitude de l’obéissance et l’unité du commandement. Les Yankees n’ont pourtant pas la gaucherie correcte et la raideur machinale de l’armée anglaise, armée d’automates admirables au feu comme à la parade. Aucun soldat, pas même le nôtre, n’a plus d’initiative et de génie. Donnez-lui une hache, des clous et un rabot ; il vous construira des tables, des chaises, tout un ameublement de son invention. Donnez-lui de la terre glaise et des lattes ; il se fera des cheminées incombustibles. Il est forgeron, machiniste, armurier, sellier, tailleur et terrassier quand il le faut. Il lit, il passe les journées d’hiver à écrire de longues lettres à sa famille ; il emporte même ses tablettes aux piquets et compose des récits de bataille entre deux coups de fusil. C’est le plus civilisé et le plus savant des soldats. Cependant l’ordre hiérarchique est aussi bien observé que dans les armées passivement dociles de la Russie ou de l’Autriche. On cite, comme d’un mauvais exemple, les officiers qui se laissent traiter trop démocratiquement par leurs hommes. — Pour la vie matérielle, elle est abondante et saine : les soldats font trois repas par jour ; les rations sont prodigues surtout en viande fraîche, en légumes et en café : c’est la boisson qui remplace ici les liqueurs fortes. Eau-de-vie, vin, bière, tous les spiritueux sont interdits sévèrement. On dit du reste que le général en chef donne lui-même l’exemple de la sobriété qu’il a prescrite en ne laissant boire à sa table que de l’eau pure. Quelquefois le commissaire des subsistances distribue aux hommes une ration extraordinaire de whiskey, mais seulement les jours de marche ou de bataille. La présence des femmes n’est pas tolérée, et le général a dit que les autres officiers pourraient recevoir leurs femmes le jour où Mm0 Grant viendrait elle-même le visiter. S’il arrive aux soldats d’user un peu trop vivement des droits du vainqueur sur les fermières virginiennes, ils sont pendus sans