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homme intègre, désintéressé, toujours trompé par de généreux sentimens, mais le plus impropre du monde à ce rôle de sauveur qu’on lui attribue, et fait seulement pour servir d’instrument docile à la volonté d’autrui.

Cependant l’air est tout plein de rumeurs pacifiques. On annonce un second voyage de M. Blair à Richmond : il n’est donc pas vrai que ses ouvertures officieuses aient été ignominieusement repoussées. Virginien de naissance, ancien et intime ami de Davis, il saura, dit-on, mieux que personne exercer quelque influence sur cet esprit opiniâtre et hautain. Enfin n’est-ce pas un signe des temps et un bon augure que de voir l’armée elle-même souhaiter la paix de toutes ses forces ? On s’attend encore à une dernière campagne, à une ou deux grandes batailles, à beaucoup de sang versé ; mais personne ne doute plus que cette année ne doive clore la grande guerre en menant les fédéraux camper au pied du capitule de Richmond.

Je m’arrête. Nous sommes en mer depuis une heure ; le bateau grince, le plancher rebondit, la foule s’agite à côté de moi ; un nègre qui chante et joue du banjo me donne des distractions ; enfin le soir avance et la nuit va tomber. Nous avons passé la Fortress-Monroë, et nous nous dirigeons non pas vers Washington, — les glaces du Potomac nous barrent le passage, — mais vers Annapolis, le seul port libre sur la côte du Maryland.


Washington, 31 janvier.

J’ai encore à vous conter mon retour de l’armée. Avant-hier matin, au lever du jour, je montais dans le car des officiers avec une bande joyeuse d’aides-de-camp en congé, parcourant de nouveau les étapes connues. Voici la tranchée sur le bord de laquelle on a élevé un parapet de sable pour protéger le chemin de fer contre les bombes, d’ailleurs inoffensives, que l’ennemi a longtemps jetées sur les trains qui passaient. Voilà City-Point, la baraque du provost-marshal, la cohue et la poussée autour du guichet où se délivrent les passes, une autre cohue au bas de la colline qui assiège le guichet des billets du bateau à vapeur, deux heures enfin dans la gelée à piétiner sur place pour obtenir nos papiers respectifs. Un aide-de-camp du général de Trobriand me présente à un autre général qui retourne à Washington. Tous les officiers présens de la brigade se joignent à nous, et au nombre de huit ou dix, au grand étonnement des badauds, nous nous constituons son état-major. Tout le long du voyage, le général Madill nous couvre de son ombre, nous faisant, avec la meilleure grâce du monde, part des privilèges attachés à son rang. C’est à lui que je dois d’avoir trouvé