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certain parti-pris. Je le crois pourtant sincère lorsqu’il affirme que le sud a encore les matériaux d’une dernière et terrible campagne, que le gouvernement de Richmond a dans ses magasins 1,070,000 balles de coton, une quantité incommensurable de tabac, et assez de maïs pour nourrir toutes ses armées. La fertilité du sol est si grande dans la plupart des états du sud, que les substances grossières y viennent presque sans culture. L’indian corn, les patates douces, le seigle, n’y manqueront jamais, à moins que la terre ne reste en friche. Une population de quelques milliers d’esclaves et de quelques millions de porcs, qui pourvoient tout seuls à leur propre vie, peuvent y nourrir matériellement la population oisive et combattante ; mais il ne suffit pas d’avoir du pain de maïs à mettre sous la dent du peuple et de satisfaire tant bien que mal la faim des soldats. Un peuple civilisé a bien d’autres et non moins impérieux besoins que le blocus irrite. Si belles que soient les récoltes, si l’on n’a plus ni routes ni chemins de fer pour les répartir, ni bras pour les moissonner, ni marchés pour les vendre, la misère et la faim domptent bientôt les plus opiniâtres résistances et les plus héroïques résolutions.

Je n’ai pas voulu interroger le général Singleton sur la question de la paix. Je ne tardai point d’ailleurs à voir que lui et M. Blair en faisaient un secret d’état. Hier soir, chez Mme Blair, je hasardai sous forme timide un vœu de curiosité modeste. Elle répondit aussitôt, sans que j’eusse directement provoqué la réponse, qu’elle-même ne savait rien, et que son beau-père n’avait pas parlé. Malgré les injures des journaux de Richmond et les provocations blessantes de celui même qui publie les opinions présidentielles, malgré l’annonce méprisante que Francis P. Blair, of Lincolndom, venait les espionner dans leur capitale, Davis, son ancien ami, l’avait à son premier voyage accueilli à bras ouverts, familièrement reçu, invité à prendre le thé en famille. M. Blair, après conférence avec le président Lincoln, vient justement de repartir pour City-Point ; mais rien n’a transpiré jusqu’à moi des négociations d’ailleurs tout officieuses qu’il dit avoir entreprises sous sa responsabilité privée et en son nom personnel.

On murmure que les choses sont au fond bien plus avancées, — que le général Grant a reçu cette semaine des ouvertures pacifiques qu’il a transmises au président Lincoln sans vouloir y répondre lui-même. Le lieutenant-général se serait contenté de dire aux envoyés du sud qu’il n’avait aucuns pouvoirs pour entrer en négociations, ni même conclure un armistice, avant que le président les lui eût confiés. Ce soldat, ce victorieux, ce chef rigoureux d’une armée de 100,000 hommes, ce commandant suprême de toutes les