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interruption depuis la Laba jusqu’au Pschisch et depuis la mer jusqu’au Schebs, l’armée n’avait plus rien à redouter sur ses derrières et put s’avancer hardiment. L’espace compris entre ces deux rivières était resté désert après le départ des derniers Abadzekhs. Il fut décidé qu’on y appellerait des colons, ainsi que sur le littoral d’où les montagnards venaient de se retirer. Seulement le nombre des familles déterminé réglementairement pour l’immigration de cette année était insuffisant pour couvrir tout ce vaste espace, et les ressources restreintes du budget et d’autres obstacles s’opposaient à ce que ce nombre fût augmenté. Il y avait d’ailleurs à prendre une foule de mesures préparatoires pour opérer la translation de ces familles et à disposer les lieux qui leur étaient destinés. On se borna, pour le moment, à peupler le territoire compris dans l’intérieur des lignes stratégiques, ainsi que le littoral, depuis Novorossiik jusqu’à Touapsé. Les habitans avaient disparu, il n’y avait plus d’ennemis, et les colons voyaient s’ouvrir devant eux une contrée pacifiée où la terre n’attendait que le travail fécondant des bras de l’homme pour livrer les trésors de son sein. Cet état de sécurité permit de changer le mode de colonisation adopté jusqu’alors ; on ne songea plus à fonder de grandes stanitzas entourées de remparts et de haies épaisses, hérissées de canons dont la portée marquait jadis le périmètre de la culture rurale. Les Cosaques nouvellement arrivés furent installés dans des villages ouverts, épars au milieu des champs. Dans la plaine montueuse qui borde la grande chaîne, au milieu des ravins et des forêts, apparaissaient çà et là des terrains unis et déboisés qui n’attendaient que le fer de la charrue pour se couvrir de moissons. Sur ces emplacemens isolés, où il aurait été impossible de se maintenir tant que dura la guerre, furent construites des fermes, qui devinrent bientôt un centre productif d’exploitation agricole. Jusque-là une moitié de l’armée avait été employée à protéger l’autre moitié, occupée à l’œuvre de la colonisation. Dès la fin du printemps, affranchies du service pénible des combats, toutes les troupes sans exception purent consacrer leur activité aux travaux de défrichement ; elles construisirent des ponts, relièrent les routes militaires par des chemins de communication. Au milieu de l’été, les lignes occidentale et orientale des stanitzas, séparées, il y a peu de temps, par une solution de continuité, furent soudées l’une à l’autre et couvrirent toute la surface de la contrée. Les détachemens qui franchirent les montagnes pour aller attaquer les tribus du littoral avaient trouvé à leur passage, entre les Schebs et le Pschisch, un désert hanté seulement par les animaux des forêts ; à leur retour, au bout de quelques semaines, ces lieux, naguère solitaires et agrestes, leur offrirent l’aspect d’une province