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qui créa les garçons et les filles légitima en même temps le très noble métier de faire naître l’occasion. Allons donc ! c’est un grand malheur en vérité ! C’est dans la chambre de votre maîtresse que vous courez, je pense, et non pas à la mort ! »


L’ironie de Méphistophélès n’est pas sans gaîté ; mais la gaîté qu’elle produit n’a rien de commun avec cette joie expansive et confiante qui est un des plus aimables liens des hommes entre eux. C’est une gaîté sèche et dure, nerveuse et vibrante, froide comme l’acier, et dont la présence redoutée met à la torture les âmes naïves. Voyez comme Marguerite s’effraie et se replie sur elle-même au contact de ce personnage, si galant cependant et si spirituel. Dès qu’il est là, elle sent qu’un malheur surnaturel plane autour de ce qu’elle aime. Cette horreur instinctive n’est-ce pas le signe sensible de la puissance du mal dans une âme transparente ? n’est-ce pas le dernier avertissement divin donné aux personnages du drame ?


« MARGUERITE. — Cet homme que tu as auprès de toi, je le hais du fond de mon âme. De ma vie rien ne m’a blessé le cœur comme cet odieux visage.

« FAUST. — Chère mignonne, ne le crains pas.

« MARGUERITE. — Sa présence bouleverse mon sang…. Je ne voudrais pas vivre avec ses pareils…. On voit qu’il ne prend aucun intérêt à rien ; il porte écrit sur le front qu’il ne peut aimer personne au monde…. Cela me domine si fort que, s’il vient seulement à s’approcher de nous, il me semble en vérité que je ne t’aime plus. »


N’est-ce pas l’effet infaillible et le signe des esprits négatifs que de produire autour d’eux, avec la honte du bien, la désaffection dans les âmes ? Quand ils sont là, ne dirait-on pas qu’une main glacée s’étend sur les cœurs et en arrête l’essor divin ? Reconnaissez au contraire les grandes intelligences, les esprits vraiment féconds à leur puissance d’expansion et à la joie qu’ils répandent autour d’eux. Sous le rayonnement affectueux de leur influence, tout s’anime à leur approche, les âmes s’épanouissent, la plus aimable vie se répand parmi les hommes : leur présence est un bienfait ; elle est déjà comme une promesse du bonheur.


IV

Faust est plus grand que Méphistophélès ; il s’élève infiniment au-dessus de lui et par ses aspirations et par ses souffrances que raille l’esprit malin : « il n’use, l’insensé, ni de boisson, ni de nourriture terrestre ; l’inquiétude le pousse dans l’espace ; il connaît à moitié sa folie ; il veut du ciel les plus belles étoiles, de la terre chaque sublime volupté, et rien de ce qui est proche ou de ce qui