tarisse et que de nouveau la soif nous consume ? » Cependant une dernière méditation philosophique l’arrête à cette heure suprême sur la pente qui l’entraîne vers l’illusion, vers le néant, personnifié par Méphistophélès. Il ouvre le Nouveau Testament, et son exégèse ardente et hardie a bientôt dévoré le texte divin. « Au commencement était le Verbe. » — « Me voilà déjà arrêté. Qui m’aidera à poursuivre ? Je ne puis absolument donner tant de valeur à la parole ; il faut que je traduise autrement, si je suis bien éclairé par l’esprit. Il est écrit : « Au commencement était l’intelligence. » Pèse bien la première ligne, et que ta plume ne se hâte pas trop. Est-ce l’intelligence qui fait et produit tout ? Il faudrait lire : « Au commencement était la force… » Mais à l’instant même où j’écris ce mot, quelque chose m’avertit de ne pas m’y arrêter ; l’esprit vient à mon secours : tout à coup je me sens éclairé, et j’écris avec confiance : « Au commencement était l’action. » — Voyez-vous par quelle progression subtile et savante le docteur passe de l’orthodoxie chrétienne au panthéisme le plus hardi ? Le Verbe lui semble présenter un sens trop étroit. Le Verbe devient l’intelligence, et déjà nous sortons du christianisme pour entrer dans la philosophie pure ; mais l’intelligence ne peut rien si elle n’est associée à la force, si elle ne se transforme en cause. Et la cause elle-même, n’est-ce pas une abstraction de rêveur et de métaphysicien ? où a-t-on vu des causes en soi ? qu’est-ce qu’une force en dehors des phénomènes où elle se réalise ? Causes en acte ou forces réalisées, à la bonne heure, mais ne nous parlez pas de ces vagues puissances où dorment éternellement des séries d’effets possibles qui ne se révéleront jamais : tout cela, c’est le monde imaginaire des purs abstraits. Allons au fait, et coupons court à la rêverie métaphysique : disons « l’action éternelle. » Et ainsi, par une série de métamorphoses, l’Évangile de saint Jean sera devenu celui des panthéistes. « Au commencement était le Verbe ; » lisez : « Au commencement était la nature en acte dans tous les siècles, le vrai Dieu, le seul Dieu. »
C’est le dernier effort de Goethe pour sauver à sa manière son héros des artifices qui l’entourent, pour le délivrer par la philosophie des prestiges où il va succomber. La pensée de Faust est trop vacillante encore pour s’enhardir dans cette carrière des idées nouvelles qui s’ouvre devant son esprit. Il ne s’y maintient pas et retombe dans la magie, qui était la philosophie occulte et défendue de son temps, la philosophie des libres penseurs, assez libres pour oser rechercher jusque dans l’enfer le principe et le secret des choses ; Déjà depuis longtemps il s’est adonné à cette poursuite ardente des derniers mystères. « J’ai voulu voir si par la force et la