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d’agir avec les procédés de tous ces marchands d’opium et autres empoisonneurs de votre brave peuple, pour arriver à la conviction que nous prenons à cœur vos intérêts comme les nôtres, que nous considérons votre sécurité comme faisant partie de la nôtre. Par conséquent, moins d’espace vous aurez à défendre contre l’ennemi commun, mieux vous réussirez à le garantir, tandis que, comme un mur inébranlable, nous vous protégerons du côté où la Providence nous a si visiblement placés pour vous protéger. » Bref, la Russie s’était servie de ses intelligences en Chine pour maintenir sa situation auprès des alliés, et elle s’était servie de son influence sur les alliés pour arracher à la Chine une série de concessions proportionnées aux circonstances. C’était là, somme toute, le secret de son action ; on vient d’en voir les conséquences.

Les Chinois se laissaient-ils tromper jusqu’au bout ? Il y a eu un moment où ils ont paru commencer à se tenir un peu mieux en garde. Cette méfiance un peu tardive se manifestait sensiblement en 1862, lorsque l’empereur de Chine déclina l’offre que lui faisait la Russie de lui venir en aide contre l’insurrection des Taïpings, de mettre une escadre et un corps de débarquement à sa disposition. Il s’en fallut cependant de peu que cette proposition ne fût acceptée, et les Russes attribuèrent cet échec de leur diplomatie à la confiance où vivaient alors les Chinois de voir arriver d’un moment à l’autre la flotte du capitaine américain Osborne. Il serait peut-être plus simple de croire que les conditions qui accompagnaient, l’offre de l’intervention russe firent aussi réfléchir les Chinois, et entrèrent pour beaucoup dans ce refus. Ces conditions étaient en effet moins rassurantes encore que les démonstrations passées de Putiatine et de Mouraviev. La Russie proposait cette fois de déplacer de nouveau la frontière entre les deux empires dans la Mandchourie et de la transporter du cours de l’Oussouri à celui du Sangari, autre tributaire de l’Amour, afin d’annexer encore à ses possessions la magnifique vallée qui se déploie entre ces deux grands cours d’eau. Elle proposait ensuite de prolonger cette nouvelle ligne de démarcation jusqu’à la rivière de Leao, dont le cours vers le golfe de Leaoting formait, à ce qu’elle prétendait, la frontière naturelle des deux empires. — Toujours la rectification de frontières ! — Cette combinaison hardie amenait la Russie dans la Mer-Jaune, en face du golfe de Petcheli, à quelques heures de l’embouchure du Peïho, et il n’y arien d’étrange à supposer qu’une combinaison qui mettait la Russie à si peu de distance de Pékin ait pu ouvrir les yeux aux ministres du céleste empereur. Pour cette fois, le grand coup préparé par le cabinet de Saint-Pétersbourg fut donc manqué. Il faut avouer cependant que si l’arrière-petit-fils de