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une résistance indéfinie ; il compte seulement qu’avant de succomber ou de se laisser bloquer dans les ports neutres, ses corsaires sont en état de faire essuyer au commerce, surtout au commerce anglais, de telles pertes que le gouvernement britannique y réfléchirait désormais avant de s’engager dans une voie d’hostilité contre la Russie. Ce calcul peut n’être pas si mal fondé. Il y a eu un jour, vers la fin de 1864, où le plus grand organe de l’Angleterre, le Times, mis en présence de cette éventualité que lui signalait un correspondant de Melbourne, prenait bravement son parti et faisait honneur à la sagesse britannique de tenir compte de ces menaces, de songer à éviter des aventures redoutables pour tant d’intérêts anglais engagés dans l’extrême Orient. Au lendemain de circonstances où une guerre nouvelle avait été tout au moins possible, il semblait dire : Nous l’avons échappé belle, et nous avons été bien inspirés de ne rien faire. Si ce sentiment prévalait, le cabinet de Pétersbourg, on le voit, n’aurait pas mal calculé.

D’ailleurs la Russie n’a pas dit son dernier mot en fait de marine. Si elle a rencontré jusqu’ici dans sa marche des obstacles de plus d’un genre, il est certes permis de prévoir que ces obstacles ne sont pas insurmontables. Les difficultés découlant du délabrement des finances une fois vaincues, l’Europe désarmant d’un autre côté et l’introduction d’un nouveau système de recrutement militaire s’accomplissant en Russie, les cadres des équipages moscovites se rempliront aisément — avec la grande docilité des hommes du peuple, toujours prêts à obéir au tsar, — avec la facilité d’éducation du matelot russe, qui n’exige pas beaucoup de temps, surtout depuis que l’emploi de la vapeur simplifie la manœuvre. L’amirauté russe ne se sent point embarrassée à cet égard, et c’est à la formation d’un corps d’officiers, de canonniers, qu’elle travaille de longue main. Les états-majors de la marine moscovite comptent déjà bon nombre de commandans et d’officiers distingués ayant l’habitude de la mer, et c’est l’escadre de l’Océan-Pacifique qui sert d’école à ces jeunes marins, acteurs futurs du drame qui se prépare obscurément. Les navires de cette escadre changent tous les trois ou quatre ans, et des midshipmen, des jeunes officiers qui quittent périodiquement Kronstadt, pas un ne revient en Europe avant d’avoir gagné au moins un grade en mer, avant d’avoir visité dans ses campagnes maritimes tous les ports du vieux et du nouveau monde.

Les possessions russes du Pacifique, où le commerce moscovite compte à peine, sont le prétexte de l’entretien de cette escadre et de ses expéditions dans ces mers éloignées ; le but réel de la croisière est tout simplement l’éducation des jeunes marins formés à la navigation dans les contrées mêmes où ils peuvent avoir à déployer leur action. Il y a tout le long de la côte d’Asie, dans les îles de