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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/721

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propagande de leurs idées et de leurs mœurs, l’esprit de liberté marchant à la suite du commerce et des capitaux. Le jour cependant où le trésor russe, qui est assez gravement malade déjà, ne pourra plus suffire aux dépenses ruineuses d’une colonisation purement militaire, d’un système qui coûte tant à l’état sans lui rapporter rien, il faudra bien se relâcher un peu et accepter le secours de ceux qui ne demandent pas mieux que de porter le mouvement dans ces immenses contrées. Tout ce que pourra faire la Russie sera de cantonner pour ainsi dire les Américains, de leur livrer l’exploitation de ses mines, de ses fleuves, de ses pêcheries, de ses marchés, sans les laisser pénétrer trop avant dans l’intérieur. On peut se faire une idée des avantages matériels que les Américains du nord peuvent trouver dans cet ordre de rapports avec la Russie par ce qu’ils y gagnent déjà. Il suffit de rappeler un fait qu’on peut lire d’ailleurs dans les statistiques officielles, c’est que depuis 1847 jusqu’en 1861 les navires baleiniers américains allant pêcher dans les mers d’Okhotsk et du Kamtchatka ont jeté entre les mains des armateurs un bénéfice de 700 millions. Quels seront donc les profits que les Américains pourront retirer des riches possessions russes, quand on leur abandonnera sans concurrence les lignes de bateaux à vapeur entre l’Amour, la Chine, le Japon, la Californie et l’intérieur de la Sibérie, l’exploitation des houilles, les travaux de chemins de fer, la construction des télégraphes, comme on le fait déjà aujourd’hui pour la grande ligne télégraphique de l’Océan-Pacifique !

Les Américains, qui sont des hommes pratiques, ne manqueront pas assurément de sentir le prix de telles relations et d’une bonne amitié avec l’empire russe. Il se trouvera parmi eux, il s’est même déjà trouvé des esprits pour propager cette idée bizarre d’une grande mission civilisatrice dévolue en commun à la Russie et aux États-Unis. Est-il même impossible que dans des circonstances données le gouvernement de Saint-Pétersbourg ne trouve dans les Yankees un concours plus ou moins actif et dans tous les cas efficace ? L’Angleterre est ici peut-être la puissance la plus intéressée. Supposez en effet une guerre éclatant à un certain moment de l’avenir entre la Russie et l’Angleterre : ne serait-ce pas une merveilleuse chance pour les armateurs américains, qui auraient à embarquer sur leurs navires neutres les cargaisons précieuses que le commerce de la Chine craindrait de confier au pavillon belligérant de la Grande-Bretagne dans des parages infestés de corsaires moscovites ? Un amiral russe qui par un télégramme de Pétersbourg recevrait l’ordre de sortir de Vladi-Vostok pour se jeter sur le commerce ennemi pourrait être sûr, après avoir lancé ses navires dans toutes les directions, de trouver un refuge et un secours dans les ports, les arsenaux, les magasins américains ; il trouverait des