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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/771

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de repos, on repart pour Altamira, où l’on arrive la nuit. Nous avions mis quatorze heures à parcourir les cinq lieues qui séparent cette ville de Tampico.

Altamira, comme son nom l’indique, est située sur une éminence au sortir de la forêt vierge. C’était, du temps des Espagnols, un lieu favori de villégiature. Une place carrée sans autre ornement qu’une simple colonne rostrale surmontée d’un aigle national à moitié brisé, une église délabrée, de longues maisons à arcades bâties en pierres de taille rongées par les pluies, un cimetière profané, quelques jardins dévastés où broutent des chèvres, voilà les restes de la ville où depuis deux ans ont campé les guérillas. En sortant d’Altamira, l’horizon s’élargit ; une ligne bleuâtre de montagnes se découpe dans le lointain. Le terrain monte en ondulant. Toutes les dix lieues, on rencontre près d’un ruisseau un pauvre rancho perdu dans la broussaille. L’herbe à couper dans les ravins, les taureaux en liberté à abattre sous bois, telles furent les seules ressources de deux longues étapes.

Nous avions laissé, au sortir d’Altamira, l’infanterie et l’artillerie s’embarquer sur le fleuve du Tamesis à bord de bateaux appelés en toute hâte de Tampico. Pendant qu’elles remontaient le courant, la cavalerie poursuivait sa route par terre et marchait toute la nuit, chaque cavalier portant suspendue à sa selle une peau de bouc gonflée d’eau en prévision du café de la halte, car depuis deux ans pas une goutte de pluie n’était tombée dans les terres chaudes du Tamaulipas. Les plus grands lacs étaient desséchés et convertis en véritables ossuaires : c’était là le dernier rendez-vous des troupeaux qui venaient s’y désaltérer ; les animaux qui avaient eu la force de s’y traîner y mouraient les membres cloués dans la vase.

Après quatre nuits d’insomnie, Antonio, charmant village indien aux coquettes maisons blanches, mystérieusement couché au bord du Tamesis au milieu d’une ceinture de platanes séculaires, apparut comme l’oasis dans le désert. La population nous fit bon accueil, et le repos du soir ne fut troublé que par le sifflet du vapeur, qui remontait lentement en traînant à sa remorque les chalands chargés de contre-guérillas. Le lendemain infanterie, cavalerie et artillerie se donnaient la main à Tancasnequi, sur la rive gauche du Tamesis, à 40 lieues de Tampico. Les libéraux surpris venaient d’évacuer en toute hâte. Malgré la rapidité de notre marche, les chances de combat s’étaient évanouies. Tancasnequi est une belle hacienda entourée de riches cultures de maïs ; la maison d’habitation, bâtie à l’italienne, quoique peu solide, est de belle apparence. L’administrateur, M. Garagoya, y vivait avec sa famille. Autour de sa demeure se groupaient les cases des Indiens