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avares, des jeunes gens, des vieillards, des sots, des méchans, des coquins et des imbéciles. Tous ces gens-là, même ceux qui comme Turcaret tenaient le plus parfaitement de la brute, ne laissaient pas que d’être des créatures douées d’un certain discernement intellectuel et moral. Ils avaient, de quelque manière qu’on veuille définir l’âme, ce qui s’appelle une âme. C’étaient en un mot des personnes. On les a remplacés trop souvent par de purs pantins. Il n’y a pas à l’heure qu’il est, dans les deux hémisphères, un montreur de marionnettes plus étourdissant et plus étincelant que M. Sardou ; mais enfin ce m’est qu’un montreur de marionnettes, et comme nos défauts, quand nous ne luttons pas vigoureusement contre eux, croissent avec l’âge, plus M. Sardou écrit de comédies, plus il acquiert l’expérience de la scène, plus il développe les qualités de son dialogue, qui sont réelles, plus il devient habile à créer dans le drame le mouvement et la vie, plus le succès croissant l’anime, l’excite et le soutient, et plus de ses doigts de prestidigitateur jaillit, un bataillon serré et divers de polichinelles accomplis. Il n’en a laissé tomber que deux ou trois dans les Vieux Garçons. La Famille Benoiton ne possède pas autre chose, si l’on excepte Didier et sa femme, avec les deux impresarii, Clotilde et Champrosé, chargés de faire au public l’explication du spectacle qui lui est offert. Descendons d’un ou deux degrés au-dessous de la Famille Benoiton, au lieu des gais et honnêtes vaudevilles de la génération précédente, nous n’aurons plus que d’écœurantes parodies où nous verrons défiler, un cortège d’idiots et de brutes. On dirait la danse macabre de l’imbécillité humaine, s’il restait à de tels personnages quelque chose d’humain. Il est si vrai qu’une forte part des créations du théâtre actuel sont des automates et rien de plus, que les personnages chargés de les passer en revue pour le compte du spectateur et de débiter la légende ne sauraient éviter les métaphores qui expriment le mieux l’idée d’un acte mécanique : « pendule, coucou de la Forêt-Noire, machine, marmotte, » telles sont les définitions peu engageantes qui reviennent le plus souvent sur leurs lèvres. Ils ne sauraient éviter surtout les tirades longues et fastueuses. Un homme, un homme en chair et en os, agissant bien ou mal dans une situation donnée, s’explique par ses propres actes et par ses propres paroles. Essayez donc de comprendre les gestes, les mouvemens et même les paroles d’un pantin doué de l’organe de la voix, s’il n’y a pas à côté de lui un être intelligent qui s’épuise en éloquence et qui s’évertue à vous dire : Voilà ce qui se passe, voilà ce que vous allez voir, et voilà ce que tout cela signifie. Aussi dans ces pièces la tirade est de rigueur, toujours élégante et spirituelle ; mais on en goûte moins l’esprit lorsqu’on a fini par s’apercevoir qu’on n’y peut