aujourd’hui ; je sais de bonne source que de grands amis siens lui conseillent de ne pas le faire pendant sa vie, s’il veut la passer tranquille, parce que, s’il nomme Bragance, il aura votre majesté pour ennemie ; s’il nomme votre majesté, dom Antonio et Bragance lui donneront fort à faire dans sa maison, d’où il résulte qu’il vaut mieux qu’il vive tranquille et que les autres se débrouillant ensuite. Le conseil est bon pour le corps ; je ne sais ce qui en sera de l’âme. De toutes ces choses d’ailleurs, on n’en peut affirmer aucune, parce que le roi est vieux, croit à la légère, et que tout peut changer aisément… » Au fond, c’était là toute la politique du cardinal : éluder, échapper à la crise par l’irrésolution. Pendant ce temps, Philippe II était à l’œuvre, se jouant de toutes ces propositions de cortès, de tribunal, rejetant toute transaction, pressant le vieux roi, enveloppant le pays et marchant avec l’effrayante fixité de l’homme qui, en dévorant un royaume, en voulant le dévorer tout entier, affirme aux autres, s’affirme à lui-même qu’il sert Dieu et l’église.
Philippe II, si habile qu’il fût, n’avait pas certainement prévu qu’une de ses ambitions était si près du but, que dom Sébastien allait disparaître dans une échauffourée africaine, et qu’il n’allait plus avoir devant lui qu’une ombre de roi. Il avait du moins refusé de suivre le jeune souverain portugais dans sa folie héroïque ; il l’avait laissé à lui-même, prévoyant un revers, et à la première nouvelle du désastre d’Alcacer-Kebir il avait aussitôt merveilleusement senti que l’heure allait sonner. Ce n’était pas encore le moment de se démasquer, de mettre la pointe de l’épée sur le Portugal et à ceux de ses courtisans qui lui parlaient d’aller célébrer les funérailles de dom Sébastien au monastère de Belem, il répondait qu’il était trop tôt, qu’il fallait savoir attendre les événemens. Il avait compris que brusquer le dénoûment, c’était peut-être provoquer une résistance soudaine et désespérée. Les affaires des Pays-Bas, sans décourager sa politique, l’avaient rendu prudent dans ces sortes de rencontres avec une nation ; mais c’était le moment de préparer par la diplomatie l’œuvre de la force, d’enlacer le pays dans un réseau invisible, afin de briser d’avance toute résistance sérieuse, et même d’éviter, si on le pouvait, la conquête à main armée. Philippe II avait créé à Madrid une junte spéciale des affaires de Portugal. Là venaient se concentrer tous les fils de cette vaste trame. Tout passait sous les yeux du roi, tout était annoté par lui. Je ne sais si aucune œuvre fut jamais mieux soignée par ce redoutable taciturne.
Il avait à Lisbonne, entre les innombrables émissaires qu’il lançait, un ambassadeur fait pour la circonstance, Christovão de Moura un de ces hommes tels qu’il les lui fallait, sachant entrer