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tout entière a salué de ses acclamations, ce n’est pas la convention des jours funestes, ce ne sont pas les régicides, les terroristes, les Torquemada du fanatisme jacobin, c’est Vergniaud appelant la France à la frontière. Bien plus, en relisant après coup cette défense de la convention, je la trouve plus timide que hardie. Lorsque le poète des Iambes nous parle de ce vaisseau qui, secoué par le roulis populaire,

Sur une mer d’écueils, sous des cieux sans étoiles,
Au vent de la terreur qui déchirait ses voiles,
S’en allait échouer la jeune liberté ;


lorsqu’il nous montre les rois, enrayés du choc inévitable, se jetant sur les flancs dégarnis du colosse, et que soudain, tout mutilé qu’il soit, le navire se dresse sur sa quille, se hérisse d’un peuple de héros, lâche comme une bordée quatorze armées à la fois et fait reculer l’Europe, certes cette grande image où sont rassemblés tous les traits de la vérité est une justification bien autrement complète que celle du Humbert de M. Ponsard. Aucune concession au jacobinisme, et pourtant tout ce qui rehausse la victoire de la convention sur l’Europe est exprimé en quelques mots. Il est bon de rappeler que les provocations de l’étranger ont amené les jours néfastes, le général Humbert avait le droit de le dire avec plus de force ; il est bon de rappeler également (M. Ponsard l’a oublié) que la convention, si elle a sauvé la patrie sur la frontière, lui a creusé des abîmes à l’intérieur, et que dans cette traversée horrible c’est bien le vent de la terreur qui déchirait nos voiles.

Une autre question se présente à propos des ingénieux détails qui amènent l’explosion du républicain. Le tableau de l’époque est vivement tracé dans cette première partie du drame ; où est l’action cependant ? L’action ne s’engagera point si quelque obstacle ne vient séparer Humbert de la marquise ; jusqu’ici leur aventure est une histoire d’amour, une idylle au lendemain de la tempête, mais un drame ou une comédie, pas le moins du monde. La jeune femme n’a eu qu’à se montrer, à sourire, et le conventionnel, qui a reconnu la compagne de son enfance, s’est mis à chanter avec elle le duo des affections premières. Quand il se fâche à la scène suivante contre les muscadins ridicules, croyez-vous qu’il se compromette beaucoup auprès de la patricienne déjà plus qu’à demi transformée ? La jeune femme ne hait pas cette colère dont le jeune tribun viendra le lendemain lui demander pardon. Ils se prêtent donc l’un à l’autre quelque chose d’eux-mêmes, le tribun initiant la marquise aux sentimens d’un monde nouveau, la marquise apprivoisant le tribun et l’amenant à sentir que la rudesse n’est pas l’accompagnement